
« J’ai toujours été frustré que personne n’ait jamais posé les cinq ou six questions qui comptaient : Qu’est-ce que c’était que ce vaisseau sur la planète où se posait le Nostromo ? Qui en était le pilote ? Qui était dans le scaphandre ? Qu’est-ce que c’était que cette planète ? Pourquoi des œufs ? Pourquoi un ADN évoluerait-il aussi vite pour produire pareil monstre ? » Qui a dit ça ? Je vous le donne en mille : Ridley Scott himself.
Non mais, Ridley, sérieusement, nous, on s’en tape. Ce qu’on veut juste, c’est un gros monstre sanguinaire et violent qui mette en charpie avec la régularité d’un métronome l’ensemble d’un équipage et, accessoirement, nous foute une trouille dantesque, à nous, spectateurs-trices, bien calé-e-s dans notre fauteuil. Je repense encore à cela au moment où j’écris ces lignes, tout animé de colère et de déception après le visionnage du dernier opus en date (las, une nouvelle mouture est apparemment dans les tuyaux…) de la saga horrifique Alien, le très prosaïquement nommé Alien: Covenant. Et j’ai grave le seum.
J’ai toujours trouvé que le cinéma, l’acte de créer un film, avait un côté terriblement romantique. Comme si la dramaturgie de n’importe quel scénario prenait sa source dans l’acte fondateur même du réalisateur, ce démiurge donnant naissance à un univers, le polissant dans ses moindres recoins, pour finalement le laisser se déployer et vivre sa vie en toute indépendance une fois posé sur un écran. L’acte de création est une part de soi que l’on modèle, que l’on chérit. Mais que l’on peut avoir envie de détruire, par lassitude ou par orgueil. À la vue de ce dernier volet du mythe cinématographique, peut-il en être autrement ? J’ai bien peur que non. Sinon, pourquoi, en deux films espacés de seulement 5 ans, lever le voile d’une vérité aseptisante sur une si fantastique énigme de près de 40 ans, et braquer des projecteurs aveuglants (même lorsqu’on s’appelle Dariusz Wolski) sur les zones d’ombre les plus terrifiantes de la science-fiction ? Comme si, ennobli par ses quatre-vingt ans, Ridley Scott décidait qu’il avait enfin droit à sa petite revanche et qu’il pouvait casser son jouet comme bon lui semblait. À sa décharge, on peut effectivement comprendre que Scott l’ait un peu mauvaise. Lorsque en 1979, après que Dan O’Bannon eut montré l’ébauche de son scénario aux requins de la Fox, qu’on eut recruté pour l’élaboration de la créature l’artiste H.R. Giger (que O’Bannon avait rencontré en France et dont les œuvres le fascinaient), et pour la musique Jerry Goldsmith, la production décida de s’octroyer les talents du « jeune » réalisateur (il a déjà 40 ans) pour lui faire façonner ce qui allait devenir un des plus grands films cultes et une formidable machine à sous.
Trois suites plus tard, réalisées à chaque fois avec plus ou moins de succès par des exécuteurs différents, Ridley Scott n’a donc pas digéré que les Studios Fox, seuls détenteurs des droits, utilisent sa créature comme bon leur semble. Il a donc semblé juste à ses yeux d’étendre le théâtre claustrophobe des charges meurtrières du xénomorphe, pourtant synonyme de la renommée de la tétralogie initiale, vers des contrées plus vastes, et propices au développement de la fable fondatrice. Et c’est là que survient un problème majeur. Demande-t-on à Hitchcock pourquoi ses Oiseaux attaquent ? Demande-t-on à Carpenter pourquoi sa Chose contamine les scientifiques ? Demande-t-on à Kubrick pourquoi Jack veut assassiner sa femme et son enfant ? La liste serait sans fin de ces œuvres époustouflantes qu’on aime, parce qu’elles seules savent si bien hanter nos nuits, ou plus simplement, nous rappeler, comme par bravade, toute l’absurdité de l’existence. Éternel combat entre les croyances et la science, entre le pulsionnel et le rationnel. Quelle mouche a décidément bien pu piquer Ridley Scott entre 1979 et le Huitième Passager, ce monument épique d’angoisse cauchemardesque, aux cadrages saturés de jets de vapeurs, de tubulures, de boyaux, des attributs délibérément phalliques de la créature, où fécondation, naissance et mort fusionnent dans un même coït morbide, et ce pensum verbeux au scénario prévisible et à la mise en scène babylonienne qu’est Alien: Covenant. Au delà du simple fait de se réapproprier la véritable paternité du mythe, on sent aussi chez le réalisateur la volonté d’en finir avec la simple bestialité et de tutoyer les dieux de la création. Franchisée tu fus, désormais allégorique tu seras. Nous voilà donc une nouvelle fois embarqué-es sur les traces des Ingénieurs, ces êtres venus de temps immémoriaux, qui créèrent la race humaine, puis tentèrent aussi sec de s’en défaire, en voyant la gabegie de leur création. Des millions d’années plus tard, aux confins de la galaxie, une expédition de pionniers, aidés par un androïde, retrouvent par hasard les traces de ces demi-dieux, alors qu’ils tentent de localiser un signal aux sonorités humaines et qu’une avarie les obligent à se poser sur une planète propice à la colonisation. Le signal s’avère être un message provenant du vaisseau des Ingénieurs avec lequel le Dr. Elisabeth Shaw et l’androïde David, seuls rescapés du massacre de la planète LV-223, se sont échappés. Seul David a finalement survécu. Mais sa soif de connaissance et sa mégalomanie semblent loin d’être assouvies…
En optant à nouveau pour le prequel – Prometheus fut déjà accueilli assez froidement par les fans de Ripley, l’héroïne quasi-invincible de la saga initiale – Ridley Scott, plutôt que d’élargir les nouveaux horizons, semble désormais s’égarer dans un verbiage mystico-religieux auquel il semble ne pas croire lui-même. Alourdi par d’interminables explications sur l’origine, sur le pourquoi du comment, de la poule ou de l’œuf, et affadi par un casting (Billy Crudup en capitaine, sérieux ?) qui peine à donner la réplique à l’immense Michael Fassbender (seul rescapé à mes yeux de ce naufrage), on en vient à sérieusement douter de pouvoir donner une quelconque valeur à ce film. Cependant, tout n’est pas à jeter. La mise en scène du préambule au lyrisme froid et élégant, ou bien au détour d’un panoramique (un peu) grandiloquent ou d’une des (trop) rares scènes d’action, par certains aspects, l’indéniable maîtrise du metteur en scène offre quelques beaux moments de cinéma. Moments englués malheureusement dans un processus narratif beaucoup trop didactique qui pollue chaque tentative de surprendre le spectateur. Dans ce souci, certes légitime, de contrôler toutes les manettes, Ridley Scott semble avoir oublié deux principes pourtant fondamentaux au cinéma : le spectateur n’aime pas qu’on le prenne par la main, et surtout qu’on lui montre le truc pour faire sortir le lapin du chapeau. Quel aurait été l’avenir du cinéma si Méliès avait dévoilé tous ses secrets d’escamotage du Manoir du Diable avec ces hommes sans tête et ces squelettes dansants, du Voyage dans la Lune et le combat contre les Sélénites ? N’oublions pas que le plaisir du cinéma lui-même est d’abord né de l’effroi d’une foule de spectateurs terrorisés par la projection de l’Arrivée du train en gare de La Ciotat !
Messieurs les réalisateurs, la prochaine fois qu’il vous viendra l’idée de résoudre vos propres énigmes, ou de vous demander pourquoi vous avez rendu vos créatures si méchantes, attendez-vous à ce que l’on vous réponde.
Tout simplement.
Parce que.
Réalisé par Ridley Scott
Scénario : Michael Green, John Logan et Jack Paglen
Sortie le 10 mai 2017
Michael Fassbender : Walter / David
Katherine Waterston : Daniels
Billy Crudup : Christopher Oram
Danny McBride : Tennessee
Demián Bichir : sergent Lope
Carmen Ejogo : Karine Oram
Jussie Smollett : Ricks
Amy Seimetz : Faris
Callie Hernandez : Upworth
Texte : Jimmy Kowalski
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