
Je sais que le musée des arts asiatiques Guimet n’est pas synonyme de dynamisme, de jeunesse et de fun. Mais si par hasard vous êtes tentés par son exposition «Kimonos, au bonheur des dames » qui connaît un large succès, profitez-en et montez les trois escaliers du musée pour vous rendre dans son ancienne bibliothèque. Il s’y tient jusqu’au 22 mai une exposition, ou plutôt une rétrospective, de la carrière d’Alexandra David-Néel. Et c’est là, dans la rotonde du musée, que la passion pour le bouddhisme naît chez cette jeune franco-belge, qui se convertit à l’âge de 21 ans.
A cette époque, au XIXe s., le musée Guimet n’est pas encore musée d’art, mais musée des religions. La jeune Alexandra y étudie le bouddhisme vajrayana, « le véhicule de diamant », une forme de bouddhisme tantrique pratiquée, entre autre, au Tibet. N’étant ni bouddhiste, ni tibétologue, je ne m’aventurerai pas plus dans des explications scabreuses. Ce qu’on peut en retenir c’est l’aspect magique et mystique de cette forme de bouddhisme. La jeune fille encore adolescente s’impose des jeûnes et des restrictions inspirés par les ascètes. Ce mysticisme est peut-être ce qui la mène plus tard au bouddhisme tibétain.
C’est un personnage complexe et hypnotisant que le musée Guimet nous propose de découvrir. Et pour ceux qui sont déjà familiers de cette figure, cette exposition offre de nouveaux supports, photos, objets, livres, illustrant sa carrière. . Véritable personnalité, celle qui sera plus tard appelée « dame-lama », qui suscite le respect de tous les grands maîtres bouddhistes de l’époque, a dans un premier temps mis son charisme et son aura au service de l’art, et de l’opéra en l’occurrence. Le parcours de l’exposition, qui se déroule autour de l’étage de l’ancienne bibliothèque, débute par une galerie de photos. On y découvre une jeune femme aux cheveux longs, fardée et parée : c’est Alexandra David-Néel cantatrice que nous rencontrons dans un premier temps.

En 1912, changement de décor ! Une longue période de voyages commence pour elle avec son arrivée au Sikkim, en Inde. La même année elle rencontre le treizième dalaï-lama au Bengale, où il est exilé. La légende veut qu’elle soit restée debout face au dalaï-lama, plutôt que de se prosterner, mais cela ne l’aurait a priori pas empêchée d’échanger et d’obtenir de précieux conseils. Ce que l’Histoire ne dit pas, c’est si cette faute était une provocation ou un simple oubli. Le principal conseil que lui donne le dalaï-lama est avant tout d’apprendre le tibétain. En effet, avant de partir, l’exploratrice s’était initiée au sanskrit et avait commencé à étudier le tibétain sans parvenir à le maîtriser parfaitement. C’est pourquoi elle est accompagnée d’un interprète durant les premières années. Elle est aussi toujours accompagnée de Aphur Yongden, un jeune bouddhiste avec lequel elle fait plusieurs retraites et médite beaucoup. Plus tard elle fera de lui son fils adoptif. Après quelques années de formation intensive, c’est-à-dire plus d’une décennie passée à échanger avec des maîtres bouddhistes, des interprètes et Yongden, elle maîtrise finalement la langue et toutes les notions du bouddhisme tibétain. Ensemble à la fin de cette période, ils réaliseront même des traductions de célèbres traités religieux.

De 1912 à 1916 elle est à Lachen, où elle rencontre des « guru », perfectionne sa connaissance du bouddhisme et poursuit son chemin spirituel. Elle opère plusieurs retraites, et apprend entre autre, à maîtriser la technique « toumo », qui permet de se réchauffer en faisant seulement appel à la puissance de l’esprit, en concentrant ses énergies dans ce seul but. Grâce à cette pratique stricte des différents rituels bouddhiques, elle obtient le respect des maîtres de l’époque et acquiert une légitimité dans le monde bouddhique. C’est ce qui la différencie de la plupart des chercheurs, elle ne fait pas qu’étudier : elle vit, elle pratique ce qui la passionne. En 1916, elle se rend pour la première fois au Tibet où elle est très bien accueillie, ce qui agace les autorités britanniques, déjà vexées qu’elle ait bravé l’interdit et passé la frontière. L’Europe en pleine guerre, elle continue donc de voyager à travers le Japon, la Chine et la Corée. C’est là que débute un moment fort de sa vie, oui parce que jusque là ce n’était pas grand chose ! Aphur Yongden et elle partent de nouveau pour le Tibet mais cette fois-ci, à pied. Obligée d’y pénétrer incognito, elle se grime tantôt en moine, tantôt en mendiant, avec pour tout bien une boussole et un revolver qu’elle ne brandit même plus au bout de la deuxième attaque de brigands qu’elle subit. .
Au cours de ces nombreuses pérégrinations, elle accumule les objets, les manuscrits, mais aussi les cadeaux offerts par les grands maîtres qu’elle rencontre. Elle ramène, ou fait rapatrier en France en demandant l’aide des différentes ambassades, des objets rituels, des calottes crâniennes, des couperets, autant d’objets propres à la pratique du bouddhisme tibétain. Certains de ces objets provenant du musée lui étant consacré à Digne-les-bains, ainsi que deux masques de danse rituelle, sont exposés dans la dernière vitrine.
L’espace de cette exposition est restreint, le parcours rapide, mais le but est, je pense, d’attiser la curiosité des visiteurs pour les nombreux écrits liés à la vie d’Alexandra David-Néel mais aussi pour le Tibet et la collection d’objets liturgiques du musée. Le lien entre l’orientaliste et le musée Guimet est en effet, très fort. C’est en ce lieu que sa curiosité pour le bouddhisme éclot. De plus, Alexandra David-Néel à la fin de sa vie, choisit de léguer ses 450 manuscrits tibétains aux collections Guimet qui n’en comptait alors « que » 500. L’objet en lui-même est beau, il est impressionnant, de par la minutie de sa réalisation, l’étrangeté de l’écriture employée… mais ils sont impressionnants aussi de par leur contenu : tous regroupent les sutra et tantra, les textes bouddhiques, ceux-là même qui ont servi à l’éveil spirituel d’Alexandra David-Néel et qui lui ont été donnés par les plus grands maîtres bouddhistes.
Alexandra David-Néel prévoit de partir 18 mois lorsqu’elle entame son périple, elle part finalement 14 ans. Pendant cette longue période elle finance ses voyages à l’aide de subventions, par son propre argent, mais elle reçoit aussi l’aide de son mari Philippe Néel de Saint-Sauveur, qu’elle a pourtant laissé derrière elle en Europe en 1911. Cette période demeure probablement la partie la plus palpitante de sa vie. Ce sont ses explorations et son voyage à pied jusque Lassa, qui font d’elle la parfaite héroïne de roman d’aventure.
Pour conclure, traverser ce court espace dédié à cette femme extraordinaire vous donne des envies de voyages aussi bien que des envies de lectures. Lecture des écrits liés à la vie de l’exploratrice, des écrits sur le bouddhisme, la spiritualité. Mais aussi et surtout les écrits d’Alexandra David-Néel, ses autobiographies, et tout ce qu’elle a produit en tant que femme politiquement engagée. Car il est impossible de coller une seule étiquette à ce personnage. L’exposition illustre seulement quelques facettes de cette femme : chanteuse, personnage de roman d’aventures, exploratrice, guide spirituel… Mais aussi féministe, anarchiste, franc-maçonne. Alexandra David-Néel ne peut se définir qu’en fonction de chaque spectateur, car elle est tout ça à la fois.
Texte: Sophie
Exposition « Alexandra David-Néel : une aventurière au musée », jusqu’au 22 mai, dans l’ancienne bibliothèque du musée des arts asiatiques Guimet à Paris.
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