
Pour paraphraser Desproges, lorsque j’ai appris que Tom Ford réalisait un nouveau film, j’ai repris deux fois des coquillettes… C’est dire si, malgré la présence d’un casting plus qu’alléchant (Jake Gyllenhaal, Amy Adams, Michael Shannon, Arnie Hammer et Aaron Taylor-Johnson, rien que ça !) je voyais ma soirée s’avancer sous les plus plombants augures. Erreur ! Comme quoi, il ne faut présager de rien et surtout penser qu’un styliste Gucci – fut-ce t’il synonyme de l’émergence dans les années 90 (et de sa suprématie durant les années 2000) du style porno chic, autant dire la classe ultime de la mode et du design, coco – était incapable de réaliser un film. Certes, le film n’est pas exempt de défauts, mais ce serait mentir de dire que je n’ai pas été fasciné du début à la fin par cette œuvre déroutante.
Passons très vite sur les quelques défauts d’une mise en scène qui surligne de manière appuyée un scénario déjà très écrit : l’imagerie est ultra travaillée (on pense à Michael Mann souvent), les personnages se déplacent avec la grâce fantomatique de modèles sur le catwalk, la bande-son nappe le film d’une aura soyeuse et macabre, tout le monde fait son job. Mais ce qui impressionne particulièrement dès le générique est la force majestueuse que Ford donne à sa caméra : le soin apportée à l’image et au découpage offre au spectateur des frissons esthétiques que je n’avais pas moi-même ressenti depuis la vision de la “Trilogie de l’incommunicabilité” d’Antonioni. Et même si Arnie Hammer n’a pas la classe de Marcello Mastroainni, et même si Amy Adams ne sera jamais aussi belle et fragile que Monica Vitti, on retrouve cette même atmosphère figée par le cynisme, cette même sensation de quelque chose d’irrémédiablement perdu, cette même angoisse bourgeoise d’un passé qui pourrait surgir à tout moment, tout cela uniquement décrit par des plans d’une beauté sidérante. Bon, c’est sûr, ça fait un peu clipesque, mais Tom Ford n’oublie pas qu’il a une histoire à raconter.
Dans cet environnement délétère, dès les premières secondes du film, il fait surgir la vie dans toute sa crudité, et cette scène matricielle, va présenter d’une manière savamment détournée, toute l’ambigüité du personnage principal. Susan (Amy Adams, d’une fébrilité toute hitchcockienne) est galeriste à LA. Elle a quarante ans environ. Elle travaille sans ardeur, son jeune et bel éphèbe de mari Hutton (Arnie Hammer, parfaitement tête à claques) la trompe et ses passions de jeunesse sont devenues des illusions perdues… Un jour, pourtant, elle reçoit un manuscrit de son ancien mari Edward (Jake Gyllenhaal, what else?) et la lecture du roman la bouleverse, faisant littéralement sortir toutes les humeurs que sa vie semblait avoir oubliée, sous l’étiquette fascisante de la bienséance arty. Lecture libératoire, cathartique, on pourrait croire dans un premier temps que le film est plié, que l’héroïne va se réveiller de ce cauchemar doré et va retrouver son ex-mari, sorte d’Hemingway post-moderne dont la diffusion du livre va, on s’en doute, lui assurer la célébrité. Mais, non, que dalle, c’est là que justement Ford pourrait bien commencer à régler ses comptes avec cette esthétique un brin médiocre, trash chic plus épate-bourgeois et faussement sensuelle.
Car la bonne idée du scénario est de lancer, avec la mise en image du roman, une mécanique fictionnelle supplémentaire qui vient s’imbriquer dans la première trame, et devient une relecture tragique de la relation d’Edward et de Susan. Afin de ne rien dévoiler du sujet du roman, je dirais juste qu’il donne au film une saveur qu’on n’aurait pas soupçonné durant la première demi-heure. D’un blanc froid, clinique et ordonné, aux dialogues d’une platitude volontairement orchestrée, le récit alterne ainsi noir, puis rouge et chaud, le tout dans un déferlement d’une violence fulgurante. Comme marquée au fer, on découvre à la fois la face cachée de Susan ET le dessein d’Edward, dévoilés par la lecture du roman. Construit comme un miroir déformant, le film déroule une trame réelle : la vie de Susan, plombée par la déliquescence des sentiments, et enroule en sens inverse la trame fictionnelle du roman d’Edward, aspirée par un dénouement à la tonalité presque shakespearienne. Cependant, si le roman se finit dans une blancheur extatique et la réalité dans une pénombre teintée d’amertume, les deux trajectoires finissent par se rejoindre dans une semblable solitude désespérée.
Déroutant et énigmatique, ce thriller psychologique, genre très en vogue à Hollywood, l’est à bien des égards. Autant il est saisissant dans l’immédiateté de son franc-parler visuel, autant il peut, à la longue, lasser avec un étalage de déjà-vus un peu clichés et de références très mode (et hop, une sculpture de Jeff Koons dans le jardin). Mais une chose est sûre, malgré des apparences d’exercice de style, ces “Animaux Nocturnes” vont probablement en emporter plus d’un-e dans leurs sillages.
Réalisé par Tom Ford
Scénario : Tom Ford, d’après le roman Tony and Susan d’Austin Wright
Sortie le 4 janvier 2017.
Amy Adams – Susan Morrow
Jake Gyllenhaal – Tony Hastings / Edward Sheffield
Michael Shannon – l’inspecteur Bobby Andes
Aaron Taylor-Johnson – Ray Marcus
Isla Fisher – Laura Hastings
Ellie Bamber – India Hastings
Armie Hammer – Hutton Morrow
Karl Glusman – Lou
Robert Aramayo – Turk
Texte : Jimmy Kowalski
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