SHINING + TAAKE + SLEGEST @ LE PETIT BAIN – 5/12/16

Paris subit les premiers assauts de l’hiver ce soir, et sur les quais de Seine, un vent glacial s’attaque au moindre bout de peau laissé nu tandis que nous nous pressons vers la péniche qui abrite le Petit Bain. Ces températures abyssales ainsi que les profondes ténèbres de ce début de soirée n’auraient pas pu être plus raccords avec l’obscure affiche de ce soir : Shining fête ses 20 ans d’existence, en compagnie de Taake et Slegest, ce qui sonne presque comme une soirée de retrouvailles entre vieux blackeux au détour d’un sentier brumeux…

affiche shining taake slegest

Arrivées trop tard pour Slegest, nous n’en entendrons que la dernière chanson. Dommage, un one-man band black-doom, ça semblait valoir le détour, on se rattrapera la prochaine fois. On se fond donc parmi les silhouettes de noir vêtues qui ont osé braver l’atmosphère polaire de la capitale pour se presser dans la fosse sous-marine du Petit Bain.

Les Norvégiens de Taake débarquent sur scène, arborant un maquillage squelettique et une gestuelle belliqueuse. C’est parti pour une promenade bucolique au cœur des montagnes de Bergen, ville d’origine du groupe. Leur son acéré, aussi efficace qu’épique, a tôt fait d’enflammer une foule dense et ultra enthousiaste.

Taake sur scène, c’est authentique, sans artifice, le charisme du chanteur et fondateur du groupe, Hoest, est indéniable. Il capte notre attention par une présence scénique assez exceptionnelle, même ses grognements rauques et ses coups de pied désordonnés façon karaté metal tombent dans le mille. Il baragouine plutôt classieusement quelques remerciements en Français et enchaîne les titres (imprononçables) devenus des classiques sur la scène black metal, entraînant les rugissements de la fosse qui reconnaît chacun d’eux dès les premières notes. Le frontman de Slegest, Ese, fera même une apparition sur scène, tandis qu’on reçoit avec délectation les titres d’une violence brute. La set list est presque chronologique, car le groupe (qui cumule quant à lui 23 ans d’existence !) a choisi d’entamer le live par des morceaux de la trilogie d’albums qui les a fait connaitre, puis de le conclure par des titres extraits de leur période récente, principalement Noregs Vaapen sorti en 2011. La transition fonctionne sans problème, et nous sommes captivées de bout en bout.

Qui aurait crus que le black métal sur scène pouvait être si festif, si éclectique ? À ma gauche, des garçons branchés en veste en jean beuglent les paroles apprises par cœur, tandis qu’à ma droite des metaleux étrangers venus voir le show parisien dansent et headbangent comme des furies. Devant moi, une immense gothique est en transe, tandis que derrière, un dreadeux castagne tous ceux qui passent à sa portée. Improbable, mais vrai. Pendant ce temps-là sur scène, le frontman fait péter le champagne (on se disait bien que les mecs n’avaient pas fait le déplacement jusqu’en France pour des clopinettes), en avale quelques gorgées puis fait boire son guitariste qui crache ensuite copieusement sur la foule. Sans oublier l’incroyable morceau « Myr », sur lequel le guitariste jouera un passage au… banjo ! Le black metal, c’est festif, vous dis-je.

Place à Shining maintenant, et lorsque que les Suédois investissent la scène, on change d’ambiance pour entamer un autre chapitre obscur à la saveur bien différente. Ouvrant avec « Hail Darkness Hail » le créateur torturé du projet Niklas Olsson dit « Kvarforth » apparaît sur scène en gesticulant, s’égosillant sur des guitares entêtantes. Electron libre dont chacun redoute les éclats tout en les désirant ardemment, Niklas arpente les côtés de la scène, étreignant ça et là son public, disparaissant en son sein.

 


 
J’aime le Petit Bain, cette salle a décidément un climat particulier. Fermer les yeux et se balancer au son lancinant de Shining alors que l’on se trouve dans une cale de bateau, si près des profondeurs hantées de la Seine, a quelque chose de dramatique et Niklas lui-même le remarquera à haute voix. Ses rares interventions parlées sont à peine intelligibles, (les réglages son ou la langue pâteuse d’une légende du black bien arrachée? On ne le saura jamais) on captera seulement : « d’habitude je hais cette merde de black métal, mais Taake ça déchire ! On est ravis de tourner avec eux ! ». On prend note…
Shining pioche dans tout son répertoire, comme il l’avait promis pour sa tournée anniversaire. Du black metal très puriste des débuts aux expérimentations indéfinissables de la période tardive, notamment extraites de Redefining Darkness, c’est une set-list variée conçue pour ravir les fans de toutes les époques. On accède à une large palette émotionnelle par le biais de morceaux puissants qui invitent à l’introspection, même si le live les fait logiquement paraître plus dépouillés et moins désespérés. Ce sont autant de claques, comme l’entêtant « For the gods below » et son long solo de guitare impeccablement retranscrit sur scène, ou l’hypnotique « Längtar bort från mitt hjärta »… Logique du chaos, jemenfoutisme absolu ou abus de substances illicites, Niklas s’empare de la set-list entre chaque morceau pour, apparemment, y lire ce qu’il doit jouer ensuite. Bon, ça nous fera rire pendant un bon moment, grandes blasphématrices que nous sommes. Ce qui ne nous empêchera pas de frémir à chacun de ses « huuu ! », rugissement reconnaissable entre tous en ouverture du titanesque « Låt oss ta allt från varandra ». Enfin, les mecs nous offrent deux rappels extraits de leur dixième album IX – Everyone, Everything, Everywhere, Ends. De la dépression en perfusion, mais avec un tee-shirt collector pour les 20 ans, siouplait.
 

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J’étais impatiente de me confronter à la réputation sulfureuse du groupe, plutôt habitué aux concerts polémiques, j’ai pourtant constaté les limites du marketing de l’outrance : Niklas semble un peu fatigué, après tant d’années à jouer avec la noirceur ultime, et il cherche des yeux ses fans qu’il a, à la manière d’une icône païenne, si longtemps transcendés par sa simple présence, un simple toucher, un regard brûlant.. De son rapport aux femmes (du moins sur scène) on retiendra le vent monumental qu’une jeune femme lui assène tandis qu’il tente de l’embrasser de force, et sa manière si naturelle (et dégueulasse) d’essuyer sur le visage d’une fan extatique une main qu’il avait au préalable glissé dans son entrejambe. Ce ne sont que des détails, car point de veines tailladées ce soir (j’avais pourtant amené mes lames de rasoirs au cas où), ou autres événements de la sorte, Niklas refusant même d’un geste de la tête l’alcool qui lui est offert par le public. Difficile, on dirait, d’être Satan tous les jours…

Mais il y a une énergie qui fonctionne nettement mieux dans cette cale occulte que sur les scènes de festival. C’est un show plus brutal, viscéral, que celui délivré notamment au Fall Of Summer cet automne, pendant lequel Shining avait revêtu des aspects plus groovy, presque rock and roll. Niklas reste la figure à moitié démente d’un son personnel et habité, venu tel un miroir déformant nous projeter au visage nos propres failles. Ainsi agenouillé sur le bord de la scène les yeux dans le vague, on le sent au bord du basculement, et on trouve enfin ce que l’on était venus chercher : une profonde et malsaine sincérité.

 
Merci à Garmonbozia et au Petit Bain de nous avoir offert ce show exceptionnel ce soir.
Texte: Laurine
Photos : Aurélia S./La Petite Photographe

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