
Nos pas nous mènent ce soir jusqu’à la splendide salle du Trianon pour une date qui nous ferait presque voir double. Et oui, riche de son succès dans nos contrées, ce n’est pas moins de deux concerts d’affilée, et donc deux fois le millier d’âmes qui peuvent investir le Trianon, que les Suédois d’Opeth se sont payés le luxe de programmer en plein cœur de la capitale. Nous débarquons donc pour la « deuz », non sans avoir été abreuvés des avis plutôt très positifs des fans présents la veille, toujours aussi impatients de revoir le groupe qui a promis de changer sa setlist. Appétissant, n’est-ce pas ?
Myrkur, one-woman band de black metal fondé en 2014 (oui, oui, vous êtes aussi surpris que moi de découvrir que ce terme existe), se doit d’ouvrir le bal ce soir. La Danoise Amalie Bruun a en effet lancé ce projet où dialoguent musique folk, mythologie scandinave, et seconde vague black métal, le tout en s’entourant du mieux possible (la demoiselle a tout de même collaboré avec Mayhem, pionniers du genre, pas exactement les blaireaux du coin). Nous sommes donc impatients de découvrir la virtuosité de la multi-instrumentiste sur les planches ce soir.
Investissant la scène, nous avons donc : 2 choristes (the Norwegian girls choir) aux tonalités de voix différentes, et Amalie qui tient le chant tout en alternant guitare et piano. On n’échappe pas, malheureusement, à la malédiction du beaufmétal qui frappe encore ce soir. A peine les 3 blondinettes débarquées sur scène sous le feu de light un peu trop crues, que retentissent de longs sifflements vulgaires saupoudrés de quelques « à poil ». On avait pourtant grand espoir en ce public, très masculin certes, mais pas (trop) jeune, et visiblement très pointu lorsqu’il s’agit de musique (à en croire les commentaires « d’experts » bien relouds derrière nous qui perturberont mon écoute tout le long du concert).
Cependant, c’est imperturbables que les filles enchaînent les lentes balades acoustiques en danois et en islandais , réinterprétations de quelques titres du très bon premier album sobrement intitulé M (« obscur » en Islandais). Nous serons gratifiés d’une reprise de l’excellent Fever Ray « Keep The Streets Empty For Me » pour ensuite conclure sur ce qui constitue probablement le morceau le plus puissant de la setlist: co-composé avec Chelsea Wolfe, on reconnait là la rythmique lourde, ultra moderne, de la belle brune. Dans l’ensemble, même si les notes cristallines de Myrkur ricochent avec emphase contre les balcons enchantés du Trianon, on regrette que l’ensemble manque de pêche. Je reste sceptique sur le passage à l’acoustique, le début album d’Amalie est sombre et hypnotique, son son si particulier mélangeant sécheresse du folk et étrangeté de l’électrique avec une touche de chant hurlé m’avait semblé résonner comme les échos d’une forêt lointaine aussi mystérieuse qu’effrayante. Ne choisir que d’en garder la partie la plus éthérée transforme le tout en une complainte vue et revue d’elfe des sous-bois. C’est donc une légère déception live…
Mais voilà que les tant attendus dandys d’Opeth débarquent sur scène avec la dégaine et l’assurance toute nordique qu’on leur connait bien. Les Suédois vont nous offrir une ouverture des plus explosives, et je pèse mes mots, tant les deux premiers morceaux choisis et surtout leur enchaînement est une trouvaille merveilleuse : l’excellent « Sorceress » extrait du dernier album du même nom, nous inonde de ces puissantes influences rock progressif des années 1970 mais avec une intensité live rehaussée par un jeu de lumière très original : de petits carrés inondent la scène comme des centaines de fenêtres derrière lesquelles on voit défiler les artworks de l’album et d’autres images abstraites ou paysages… Cette entrée en matière ultra groovy se poursuit sans nous laisser une seule seconde de répit avec LE morceau préféré de nombreux fans d’Opeth « Ghost of Perdition ». On est projeté dix ans en arrière, à l’époque où le mélange entre chant guttural et chant clair constituait encore la signature d’Opeth, et à en croire les oscillations du plancher du Trianon, la foule qui n’est plus qu’un bouillonnement de jouissance musicale approuve vigoureusement le choix de ce morceau culte.
La vague se retire, mais l’ovation est interminable. Mikael, le frontman, a grand peine à imposer son timbre délicat sur le tonnerre d’applaudissements et de cris qui s’éternisent de longues minutes. Lors d’un intermède parlé assez long, il fera un hommage à Ihsahn, qui joue en même temps qu’eux ce soir : « En fait avec notre vieux pote Ihsahn on fait le concours de celui qui remplit le mieux la salle, et ensuite on ira boire une bière entre anciens potes black métaleux, puis on parlera de la pluie et du beau temps et de « grooowwwl » ». On se marre donc, en imaginant les vieux copains communiquer en grognements. Il nous rappellera également son parcours personnel au sein du groupe, ou l’ascension d’un « bass player » devenu leader du groupe « le nom Opeth est tiré d’un bouquin de merde, mais je trouvais le logo cool, je me suis donc approprié la couronne ! » Et après une dernière boutade sur les hardcore fans qui se sont déplacés les deux soirs « je pensais que vous n‘étiez pas là hier, que c’était d’autres personnes aujourd’hui, Fuck you ! », les mecs réactivent la machine à remonter le temps avec un titre de légende « Demon of the Fall ». On s‘en lèche les babines, car ce morceau de brutalité pure extraite des 1990 n’a vraiment pas pris une ride. Ben ouais, les mecs sont prolifiques, après 26 ans de carrière, ce n’est pas moins de 12 albums dans lesquels ils ont eu le loisir de piocher ce soir. Complices (et l’histoire ne dit pas si c’est du théâtre ou pas), ils se font de petites jokes sur scène en démarrant les mauvais morceaux pour se perdre les uns les autres, avant de s’esclaffer. Ambiance salle de repet garantie !
Par la suite, Opeth se lancent dans un enchaînement de cinq morceaux très planants, un choix qu’ils avaient déjà fait sur certains lives après leur virage rock prog amorcé par l’album Heritage. L’idée étant de piocher dans des albums ne comprenant que du chant clair, du morceau dépressif et lent, quasi acoustique, comme « In my Time of Need » aux influences jazzy plus énergiques d’un « Cusp of Eternity » extraits des albums récents. Ça fonctionne, mais à en croire les réactions de la fosse autour de moi, qui est pourtant hystérique et toute émoustillée par les performances des Suédois, on attendait tous quelques pistes plus violentes. C’est chose faite avec « Drapery Falls », extrait du splendide Blackwater Park, mais là encore, la sauce est retombée car le morceau à la structure ultra complexe est très progressif, et surtout très très long. On attend presque une bonne gifle qui n’arrivera pas. Le rappel, sur le titre éponyme de Deliverance, sonnera comme la dernière chance pour la fosse qui se déchaînera malgré tout, histoire de conclure cette soirée en beauté.
Au final, on sent que les mecs se sont fait plaisir en jouant quelques titres moins connus et rares sur scène, mais ont du coup laissé la formidable transe du début s’essouffler quelque peu. Il ne faudrait pas risquer l’ennui à s’obstiner à jouer des titres qui se savourent plus facilement avec un bon vin chaud, son gros chat sur les genoux, enfoncé dans son canapé (vous visualisez bien là ?) que dans une grande salle noire de monde. L’ensemble pouvait sonner plat par moment, et ce malgré l’incroyable maîtrise des musiciens et de la voix caméléon de Mikael Akerfeldt. En revanche, pour les avoir vus de nombreuses fois sur scène et avoir été plus que déçue par l’attitude à la limite de la pédanterie du groupe à l’égard de ses fans (pas de rappel, médiators lancés distraitement par les techniciens, voire pas du tout, dédain visible vis-à-vis des organisateurs etc…) c’est ravie et soulagée que je quitte le Trianon, car Opeth a effectué une reconnexion visible avec son public. Et ce n’est pas les ovations finales, aussi vivaces pour chacun des virtuoses présents sur scène, qui me contrediront.
Texte : Laurine Brayé
Photos : Unkel.Z-Photography
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