
S’il existe un type de long-métrage casse-gueule, c’est sûrement le film tiré de faits réels. Ça passe ou ça casse. Soit ça devient Erin Brockovich de Soderbergh ou, plus récemment Steve Jobs de Danny Boyle, soit c’est une purge interminable comme Le Pont des Espions, dernier Spielberg en date, aussitôt vu, aussitôt oublié… Pourquoi c’est casse-gueule ? L’épreuve de la réalité, tout simplement… Sur le papier, l’histoire peut être passionnante, méritant d’être envisagée sous un angle inédit, recadrée ou remontée pour laisser apparaître le caractère exceptionnel des événements racontés. Mais, voilà, le scénariste a beau faire du très bon boulot, si la trame est un peu légère, pas suffisamment rocambolesque, le réalisateur va vouloir essayer de donner de l’épaisseur et on finit immanquablement par tomber dans des tics de réalisation : alternance gros plan / plan large, ralentis, musique, montage sonore, etc, tout un arsenal visuel pour glamoriser un quotidien trop trivial. Et on finit surtout par arriver au final à quelque chose de bancal, ni documentaire ni œuvre de fiction. Un film raté qui manque à la fois de naturalisme et de construction, et en même temps raté parce que la mise en scène n’adhère pas au réel, sonne faux en quelque sorte.
Je vous rassure, La Fille de Brest n’est rien de tout ça. Je dirais même que cela fait un sacré paquet de temps que je n’avais vu un aussi bon film français. C’est dur mais je crois que le dernier, c’était Ma Loute ! Non, bien entendu, le film d’Emmanuelle Bercot n’a pas la même envergure que la dinguerie géniale de Bruno Dumont, mais ce film a le mérite en tout cas d’éviter tous les écueils mentionnés plus haut. Et surtout de démontrer une nouvelle fois l’immense talent de Sidse Babett Knudsen, l’actrice danoise découverte par le public français dans la série Borgen, qui incarne avec fougue Irène Frachon, pneumologue bretonne qui s’est battue en 2010 contre le Mediator, médicament coupe-faim produit par le Laboratoire Servier qui était prescrit chez les diabétiques en surpoids et dont elle a dénoncé les effets secondaires mortels.
Fort heureusement et cela dès le début du film, la réalisatrice évite de tomber dans le panneau « David contre Goliath ». Bien sûr, le récit fait la part belle à l’audacieuse petite pneumologue bretonne face aux méchants dirigeants du géant pharmaceutique au mépris très jacobin. Mais c’est juste pour caractériser, poser des jalons, déterminer la surface de jeu du récit. Comme pour dire :“Nous, on est ici, on veut aller là-bas, mais pour y arriver, on va devoir les affronter.” Ainsi, la caméra suit avec une précision chirurgicale le travail de fourmi d’Irène, son acharnement à faire toute la lumière face à l’omerta presque mafieuse des dirigeants du laboratoire et des autorités de contrôle. On suit sa détermination avec d’autant plus d’intérêt que tous les aspects de la vie d’Irène sont présentés sous le même jour, avec un parti-pris très naturaliste, qui donne une authenticité quasi documentaire aux événements publics et une justesse de ton aux moments de la vie privée de l’héroïne.
Emmanuelle Bercot déclarait précédemment : “L’intérêt, pour moi, n’est jamais tant dans le fait de raconter des histoires que dans la volonté de décrire des états, d’exacerber des perceptions”. En effet, dès le générique rythmé par des battements de cœur capté par un stéthoscope, le film se comporte comme un organisme qui réagit à la fois aux stimuli de l’environnement et à sa propre activité interne. Filmé dans sa quasi-totalité en caméra portée, on est happé par la nécessaire et néanmoins permanente urgence de la vie d’un hôpital. Le temps est assassin mais il l’est encore plus dans le cadre médical. Et le spectateur le ressent d’autant plus que le scénario ne se disperse jamais, ne prend jamais la tangente du récit. Jamais il ne cherche à démontrer plus que les faits, jamais de scènes annexes greffées à la trame principale de façon à sur-interpréter le propos. On avance pas à pas, des fois ça s’accélère, des fois ça ralentit, des fois ça piétine carrément mais on ne s’ennuie jamais, cela en grande partie dû à l’interprétation lumineuse de Sidse Babett Knudsen, de tous les plans. Aidé par le jeu plus en retenue mais aussi efficace de Benoît Magimel, l’actrice danoise (au français impeccable) réalise une performance étourdissante, alliant une gestuelle d’un naturel (trop) rare à l’écran et utilisant une palette vocale à la tonalité presque infinie. S’en dégage un jeu très riche où l’actrice semble parfaitement à l’aise. Dans ce scénario dense où la direction d’acteurs est très importante – on ne peut pas se permettre de perdre le spectateur faute d’une interprétation approximative et sans saveur – Emmanuelle Bercot montre une nouvelle fois son double talent d’écriture et de mise en scène aussi précises que rythmées.
Enfin – et c’est sur ce point en particulier que le travail quasi documentaire du film montre la rigueur et l’authenticité du propos de la réalisatrice – jamais le film ne fait l’erreur de tomber dans un pathos mélodramatique qui aurait sans aucun doute plombé l’histoire. Bien sûr, on s’attache, et Bercot le fait avec beaucoup de pudeur, à la véritable descente aux enfers de l’une des patientes jusqu’à une issue qu’on sait malheureusement dramatique, mais le ton adopté n’est ni racoleur ni outrancier. En particulier, une scène résume à elle seule le langage filmique d’Emmanuelle Bercot. Alors qu’elle aurait pu forcer le trait de manière indigente, elle met en scène une autopsie de manière très crue (âmes sensibles s’abstenir), ceci pleinement justifié pour les besoins de la démonstration, mais afin d’alléger rapidement l’ambiance tragique, elle insuffle la symbolique très belle de la pesée du cœur de la patiente avec une infime délicatesse, la caméra se posant un long instant sur les mains d’Irène Frachon, formant une coupe dans laquelle repose l’organe désormais inerte. Dans ce plan de quelques minutes en apparence mortifère, on voit pourtant s’épanouir la vie dans ce qu’elle peut avoir de plus dur mais aussi de plus beau, montrant cette enveloppe à la fois fragile et puissante dans laquelle palpite notre humanité. Le temps d’une vie.
Réalisé par Emmanuelle Bercot.
Scénario de Séverine Bosschem et Emmanuelle Bercot
Sortie : 23 novembre 2016.
Avec :
Sidse Babett Knudsen – Irène Frachon
Benoît Magimel – Antoine Le Bihan
Charlotte Laemmel – Patoche
Lara Neumann – Anne Jouan
Isabelle de Hertogh – Corinne Zacharria
Philippe Uchan – Aubert
Patrick Ligardes – Bruno Frachon
Gustave Kervern – Charles Kermarec
Olivier Pasquier – Arsène Weber
Texte : Jimmy Kowalski
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