
9 Novembre 2016, journée mondiale de l’humour. Tout commence à 7h du mat avec la première “blague” de la journée : L’élection de “celui dont on ne prononce pas le nom” à la tête des Etats-Unis. Je ne sais pas pourquoi, mais cette annonce moyennement drôle me fait penser tout de suite à Killing Joke qui revient fouler les planches parisiennes plus de trois ans après son dernier passage au Bataclan. Jamais la bande à Jaz Coleman n’a aussi bien porté son nom qu’aujourd’hui. Je me dis que tout cela n’est pas du hasard.
En parlant de mauvaise farce, leur passage au Hellfest en 2015 m’avait laissé un goût amer dans la bouche, puisque les organisateurs les avaient positionnés en même temps que Body Count. Cette idée grandiose m’avait valu une course infernale pour au final ne profiter pleinement d’aucun des deux shows. Je compte bien me rattraper aujourd’hui et par la même occasion redécouvrir pour la première fois ce très cher Elysée Montmartre.
En guise d’ouverture, Live Nation a fait le choix pour le moins surprenant de nous proposer les Californiens de Death Valley High. Les quelques titres écoutés dans l’après-midi ne m’ayant pas convaincu outre mesure, je m’approche de la scène à reculons.
Dès les premières notes, je ressens qu’il ne se passera rien de mémorable pendant les 30 minutes qui leur sont allouées. Les ricains envoient un néo-metal /indus on ne peut plus classique. Rien n’est mauvais mais aucune identité musicale ne se dégage. Sur chaque titre, le groupe essaye de ressembler à un autre : Deathstars, Combichrist, Murderdolls, Rob Zombie, MM et même certaines envolées vocales qui nous rappellent Deftones. Quelques riffs sont plutôt entêtants et légitiment leur présence ce soir, mais la batterie n’arrive jamais à imposer une cohérence à l’ensemble. Le chanteur se démène comme il peut mais le fait de changer sa voix sur tous les morceaux montre clairement un manque d’identité et de maîtrise. Tout me paraît trop propre, trop lisse, pour ouvrir pour Killing Joke. Le public, encore très clairsemé, s’intéresse de loin à leur son. Ce groupe n’est pas mauvais et donne même envie de bouger le pied par moments, mais je suis prêt à parier que leur carrière rejoindra a longue liste des premières parties oubliées à tout jamais. Seul moment assez fun, le premier « fuck Trump » de la soirée balancé dès le deuxième titre.
Vu que je n’attendais rien de grandiose de leur part, on peut dire que ce groupe aura répondu à mes attentes. Mais, sans aucun doute, Live Nation aura à cœur de nous les proposer à nouveau dans les prochains mois (Download ?). Mais il faut s’interroger sur le choix de ce groupe qui s’adresse aux plus jeunes, alors que la moyenne d’âge de ce soir nous rappelle bien que Killing Joke vient d’une autre époque.
Passée cette petite mise en bouche sans saveur, place aux papas du rock/métal industriel. Cela fait plus de trente ans que les Britanniques bercent nos oreilles avec leur son si reconnaissable, et pourtant à chaque show, l’ambiance et le rendu sont différents. Après quelques inquiétudes sur le remplissage de la salle, l’Elysée est à présent bien garni pour leur entrée sur scène. Comme tous les groupes de leur génération, on se demande à chaque fois dans quel état nous allons les retrouver. Eh bien, ce soir-là, on ne sera pas déçus. Evidemment, Jaz Coleman ne saute plus comme un cabri de 20 ans, mais la joie de jouer tout simplement se ressent sur les premières notes de « The Hum ». Sans artifice, il a cette capacité à capter l’attention de tous et nous plonger dans cette ambiance si singulière qui n’appartient qu’à KJ. Les choses sérieuses commencent réellement avec un enchaînement bien old school « Love like Blood/eighties » qui a le don de vider le bar et de faire rapprocher tous les fans les plus anciens. La grande messe peut alors vraiment commencer. Sur disque, ces deux morceaux mythiques paraissent aujourd’hui presque ringards. Et pourtant en live, les riffs se font tellement tranchant et hypnotisant qu’il est impossible d’y rester insensible. Jaz n’a jamais été un grand bavard et ne déroge pas à la règle ce soir. La plupart de ses rares paroles sont bien entendu dirigées contre le nouveau président du monde. Il nous demande même ce que l’on pense de cette élection, et aura pour réponse une belle rangée de doigts levés.
Après ce début de show très axé sur les classiques, il faut bien promouvoir sur scène le dernier mais néamoins excellent dernier album, Pylon. Après plus de 30 ans de carrière, Killing Joke ne s’est pas calmé, bien au contraire. « Autonomous Zone » et « New Cold War » dégagent une puissance bien éloignée de leurs débuts Cold Wave. Leur son n’a rarement été aussi punk et agressif qu’aujourd’hui, comme un signe de rébellion envers la politique britannique actuelle.
Pour un novice, la suite peut paraître plus linéaire, mais chaque titre possède un je-ne-sais-quoi qui permet de ne jamais lâcher prise. Le retour aux sources sur « Requiem » et « Change » est un beau cadeau aux fans les plus fidèles. Que dire de « Turn to red », présent sur le premier maxi du groupe en 1979, qui, même si il ralentit un peu la cadence, est un bel hommage à leur immense carrière.
La bombe du dernier album « I am The Virus » réveillera l’assemblée avec sa rythmique spartiate qui nous donnerait presque envie de nous engager dans l’armée. Ce titre à l’ambiance assez malsaine et suffocante réveille en moi des pulsions violentes. Jazz y est pour beaucoup dans cette facette horrifique. Ses mimiques et son regard font de lui un maître gourou totalement hypnotisant.
Avant le rappel, on peut seulement reprocher une petite baisse de régime légitime sur des titres que je trouve personnellement moins percutants. Ce temps faible résume bien à lui tout seul la carrière de Killing Joke. Des grands albums pour commencer suivis d’une traversée du désert de quelques années et un retour plus fracassant que jamais. C’est exactement le cas ce soir avec un sublime « Psychee » pour clôturer le set. Ce titre est pour moi l’un des plus parfaits qu’ils n’aient jamais fait : une rythmique basse/batterie incroyable, un riff simple mais ultra entêtant et la voix de Jaz qui vient apporter une profondeur supplémentaire au morceau. Il est impossible de croire que ce titre a été écrit en 1982 tellement le son semble actuel et ne dépareillerait pas dans le sélection 2016 des découvertes des inrocks. En live il prend une dimension encore supplémentaire, tant Jaz est possédé sur ce titre. Quelle belle manière de terminer ce show hommage aux années 1980 ! Que dire du rappel avec enchaînement « Wardance » et surtout « Pandemonium » qui finit cette soirée en beauté ! Même si la journée avait commencé de manière très spéciale, Killing Joke aura réussi à nous l’égayer et nous faire oublier la réalité, et çà ce n’est pas une blague.
Texte : Ludo
Photos : Cherry Lesly / Cherry Pixs
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