
Il y a une semaine que ça s’est passé, mais le souvenir est toujours aussi vivace que si c’était hier. C’est le genre de souvenirs qui ne partira pas, on le sait bien sur l’instant, il restera marqué à jamais dans nos mémoires comme un moment rare qui vous a touché de toute votre âme et votre corps, comme traversé par une électricité indescriptible. Vivant ce quelque chose qu’on ne saurait décrire, ces émotions d’une rencontre qui nous font comprendre ce que c’est que d’être vivant, de ressentir, de partager.
Ce partage est celui d’un don, le don de création d’oeuvres qui bouleversent et qui transportent, qui touchent et qui apaisent. Ces oeuvres sont celles de Neurosis. Le groupe proposait, le temps de deux soirs, les 7 et 8 novembre, une nouvelle chance de vivre un set retraçant leurs 30ans (après le Roadburn), retraçant l’Oeuvre et l’importance qu’ils ont dans cette musique alternative. Cet événement se passait à Londres, au Koko, lieu phare de Camden Town et temple de la musique. C’est la première date que nous choisiront et en cette soirée de novembre londonien, l’atmosphère faisait ressentir qu’il fallait être là, un concert de Neurosis ne laisse jamais indifférent et marque quoi qu’il arrive. Mais revivre ces 30 ans c’est un set à part, et il sera difficile de retrouver certains titres en live étant donné l’évolution de la musique du groupe au cours de ces années.
Le temps de rentrer et de découvrir une seconde fois la magnifique salle, le génial Dylan Carlson et son groupe Earth ont l’honneur d’ouvrir cette première soirée exceptionnelle. Le drone planant d’Earth sera un choix orignal mais surtout un choix censé, étant donné le fait que cette soirée mettra en avant les piliers de la scène post hardcore que sont devenus Neurosis. Ainsi, rien de plus normal que d’inviter le magicien Carlson qui fera vibrer de ses notes de guitares ciselées et langoureuses sur le « Torn By The Fox Of the Crescent Moon » du dernier en date Primitive and Deadly. Le drone d’Earth n’est que volupté et sensualité, et offre une belle ouverture pour cette soirée qui risque d’être forte émotionnellement parlant. Un mélange vibrant et un travail de la note étirée et ensorcelante. Avec entre autres « Belladonna of Sadness » ou bien « There Is a Serpent Coming », c’est un set parfait pour ceux qui découvrent ce soir (très peu je pense) et ceux qui les retrouvent avec plaisir en live.
Le temps est maintenant venu. Neurosis est un groupe en toute simplicité, aucun artifice, aucun écran, aucun backdrop, et ceci depuis plusieurs années ; rien que la musique et l’honnêteté qui va avec. Le noir complet et c’est l’intro de “Stones from the Sky” qui nous parcourt sur la peau comme un frisson. En toute sobriété, la voix de Scott Kelly s’empare du Koko et ses paroles résonnent dans nos têtes. Nous sommes en 2001 avec l’album A Sun That Never Sets et déjà rien n’a son pareil dans le monde de la musique.
Le réveil est douloureux ? Tu ne crois pas si bien dire… “Given To The Rising” dévoile la beauté qui se cache derrière la douleur et le groupe, en transe, porté par cette même électricité, est happé par la musique, possédé par l’instant. Comme un rite qui se dévoile sous nos yeux, les shamans de Neurosis nous emmènent dans notre moi intérieur. Nous sommes au plus près de nous-même, face à la vérité que l’on se cache. Le jour et la nuit se dévoilent en même temps et la décharge en est plus intense. L’émotion est pure avec Neurosis, la musique est celle qui vient des tréfonds de l’âme, jouée avec le sang et la chair. Mis à nu, Scott Kelly et Steve Von Till sont tout en intensité et en émotion, sans hypocrisie ou mensonge ; le ressenti est là et chacun se connecte de façon différente à ce qui se passe actuellement. La prospection intérieure doit venir de nous-même, le groupe nous montre la façon d’y arriver, de l’exprimer. Fires Within Fires, le nouvel album, prendra part à ce set des 30 ans et l’intense “Bending Light” ouvrira le bal. Sans discours, sans discussion inutile, son introduction retentira dans tout le KOKO pour ouvrir encore plus grande la porte aux ténèbres. Dans un jeu de lumières qui donnera un visage encore plus marquant, le groupe enchaîne sans interruption, sans déconcentration, happé par cette transe musicale. Comme si une porte sur la psyché était ouverte sans possibilité de la refermer, déversant son flot d’émotions tout aussi intenses et palpables. Les feux de l’âme tourmentée se déversent dans la salle, la transformant en boite de Pandore.
Chaque note vibre dans ce Koko acquis à la cause du groupe, une salle remplie de fans en communion, touchés par ce magma qui gronde sur scène. Les guitares balaient ses barrières psychologiques qu’on s’est créées ; la pensée n’est plus, détruite par cette batterie qui nous accapare ; le coeur prend le dessus pour que l’instant soit encore plus beau. Perdu avec « Lost » et pleurant avec Steve sur « Broken Ground ». Neurosis c’est une catharsis sur scène et la beauté cruelle qui se dévoile aux yeux de tous. Le magnifique « Casting Of The Ages » d’Honor Found in The Decay, sera le moment où mon voisin de fosse osera se retirer pour je-ne-sais-quoi, mais aux alentours chacun vit le concert au plus fort possible, frissonnant avec cette douleur ou cette beauté, la faisant sienne, accroché à cet intense et déchirant instant pour qu’il devienne infini, perdu dans un espace temps au-delà de toute raison. Comme les bons alcools qui dévoilent de nouveaux secrets et de nouvelles saveurs avec l’âge, Neurosis donne comme une impression d’être encore meilleur que la fois précédente, plus touchant, plus en adéquation avec soi-même, maitrisant mieux ces feux qui se consument. Les voix sont encore plus lourdes de sens et l’émotion pure devient réellement palpable.
Le feu est toujours aussi intense, si ce n’est plus, brûlant, consumant, il ne reste plus qu’à apprendre à le maitriser ou bien y succomber. « Fire Is The End Lesson » prouve encore une fois que Neurosis continue sans cesse d’évoluer avec cette même force tout en se rapprochant du sublime dans la douleur. Au loin, oubliant tout ce qui se passe, le groupe n’a pas quitté ce feu qui les habite depuis le début « Fall in and breathe, Walled in spirit ». Honor Found In The Decay, album majeur de la carrière du groupe (à mon humble avis) reviendra pour le magnifique et déchirant “At The Well”, un voyage qui risque de s’achever bientôt mais qui pour le moment nous propulse au loin, ailleurs, dans ce même monde où se trouve le groupe. Lâcher la bride émotionnelle, se dévoiler pleinement et partir en roue libre : c’est une obligation pour ne pas regretter et atteindre cette acmé que l’on touche presque, car la chute risque d’être rude.
Car se faire abandonner, foudroyer sur place par « Locust Star » de 1996, c’est un électrochoc des plus puissants comme un coup porté par la groupe. Finir malmené, laissé pour mort à son acmé émotionnelle, seul au milieu de tout le monde avec le regard hagard et dans l’incompréhension la plus totale. C’est l’état dans lequel on finira après le passage du groupe. Mais c’est surtout un électrochoc nécessaire et la bande de Scott et Steve ne pouvait y faire autrement. C’est une obligation d’ouvrir vraiment les yeux face au retour de la dure réalité qu’est ce quotidien, mais qu’on regarde maintenant autrement, comme changé par cet événement.
Vous comprenez maintenant qu’il me sera difficile dans les jours qui viennent de regoûter un concert avec le même regard, avec cette même attention qu’avant. Car un concert comme celui-ci, c’est plus que de la musique. Neurosis c’est cette beauté inattendue qui se cache derrière la plus grande des douleurs mais qui est encore plus forte quand on arrive vraiment à l’atteindre.
Comme ce soir.
Un moment fort gravé à jamais.
SET-LIST:
Stones From The Sky
Given To The Rising
Bending Light
Lost
Broken Ground
Casting At The Ages
Distill (Watching The Sun)
At The Well
Locust Star
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