SNOWDEN – Oliver Stone

En 1991, lorsque sort “JFK”, basé sur le rapport rendu par le procureur Jim Garrison lors de l’enquête sur l’assassinat de John F. Kennedy, Olivier Stone va forger, dès la sortie de ce film magistral et pour la suite de sa carrière, son statut de cinéaste/citoyen engagé. Pour une immense majorité, avec ses précédents films “Platoon” et “Né un 4 juillet”, Stone avait déjà largement écorné l’imagerie d’Épinal de l’Amérique va-t’en-guerre des années Reagan sans toutefois poser les bases de ce qui allait faire sa touche si particulière.

Avec JFK, le réalisateur prenait désormais un malin plaisir à brouiller les pistes, oscillant sans cesse entre documentaire, images d’époque, entre une objectivité nécessaire et une subjectivité poussée par l’opacité des rapports pouvoir/citoyen. Stone n’avait pas la prétention de dire LA vérité mais SA vérité, poussé en cela par un besoin impérieux de mettre en lumière toutes les zones d’ombre du drame mais aussi de démontrer que certains rouages de l’affaire avaient des répercussions sur sa propre vie et celles de ses contemporains américains. Formidable monteur/démonteur d’images, il offrait alors aux spectateurs un éclairage nouveau sur l’implication d’un réalisateur de films de fiction, non plus comme un simple rapporteur de récits “inspirés de faits réels” mais comme un journaliste d’investigation. Stone (ou Costa-Gavras, Garrel, Marker à la même époque) mettait à la fois son film et sa propre personne sur la brèche, œuvre et vie se mélangeant pour la plus grande joie des cinéphiles.

En 1991, dans la partie occidentale de notre planète, les combattants pour les libertés individuelles étaient considérés, au mieux, comme de doux utopistes, ou au pire, comme de dangereux anarchistes. Et puis, qui pouvait bien en vouloir aux libertés individuelles ? Les gouvernements étaient justement les garants du bon fonctionnement de nos belles démocraties et les grandes institutions supra-nationales veillaient à empêcher la moindre infraction perpétrée par ces dits gouvernements.

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En 1991, Internet n’existait pas encore. YouTube, Megaupload, les méta-données, et tous les bouleversements que l’hyper-connectivité allait générer dans nos vies n’étaient encore que des rêves de scientifiques. 1991, c’était il y’a très longtemps.

“Snowden”, dernier film en date d’Oliver Stone, n’est pas un mauvais film. Bien au contraire. Le cahier des charges est parfaitement respecté, à commencer par un bon casting avec en tête Joseph Gordon Levitt qui porte le film à lui tout seul, incarnant les affres d’un jeune conservateur éclairé et patriote dans les arcanes du cyber-renseignement avec les yeux d’un Candide des temps modernes. La trame est solide et propose un long flash-back qui remonte aux racines du mal, s’appuyant en cela sur une documentation titanesque. Peut-être mettrais-je un bémol sur les implications directes de l’administration Obama, juste effleurées dans la dernière partie du film. Et encore, je suis un peu dur parce que Stone ne mâche pas ses mots et n’hésite pas un seul instant à pointer du doigt la gigantesque imposture concoctée par tous les services de renseignements américains sur la surveillance (sans filtre donc totalement anti-constitutionnelle) de TOUS les citoyens américains avec l’aval du locataire de la Maison Blanche. Peut-être mettrais-je aussi un autre bémol sur la symbolique un peu appuyée de la dégradation des rapports entre Snowden et sa compagne, signifiant un peu mièvre de la part grandissante du doute qui fait vaciller les certitudes du bon petit soldat servant sa patrie… Mais ça encore, ce n’est pas vraiment le souci vu qu’à la fin, ils se retrouvent et c’est chouette.

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Pourtant, quelque chose clochait en sortant du film… Je n’arrivais pas à mettre la main dessus jusqu’à ce que je me rappelle avoir récemment ressenti cette impression d’inachèvement à la vision de 2 autres long-métrages : “Timbuktu” d’Abderrahmane Sissako et “Nocturama” de Bertrand Bonello. Pour ces 3 films, cette impression vient de l’obsolescence immédiate qui s’en dégage. Ce sont des films du 20e siècle. Des film du 10 septembre 2011. Avant la collision des avions sur les tours du World Trade Center. Avant le terrassement du virtuel et des effets spéciaux par le réel. Avant le jour où chacun-e a pu avoir la possibilité d’être immédiatement connecté-e à la méta-réalité de l’information en open-source. Avec ces films, et particulièrement ce biopic sur le lanceur d’alerte Edward Snowden, on apprend peu de choses que l’on ne savait déjà et, surtout, on n’a plus peur du tout. Le réel s’en charge parfaitement. Ni la poésie pour “Timbuktu”, ni la sublimation chic de la violence chez Bonnello, ni la retranscription exacte des faits chez Stone n’empêche le récit de se faire dépasser par l’implacable bolide de l’information de masse. Bien entendu, dire du film qu’il est à la ramasse des enjeux du monde réel serait faire un faux procès au réalisateur de “Natural Born Killers”. En revanche, les outils utilisés par le réalisateur n’ont plus aucune justification dans l’ère Twitter qui a suivi l’effondrement des tours. Fictionnaliser ces événements est un non-sens.

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Dans ce cas précis, comme je le disais précédemment, Stone fait presque aveu de faiblesse en sur-signifiant son récit en relatant les déboires conjugaux du couple Mills/Snowden là où certains faits “secret défense” font défaut au scénario, comme pour combler ce vide de sens. C’est d’autant plus absurde que “Snowden” sort un an, quasiment jour pour jour après “Citizenfour”, le formidable documentaire de Laura Poitras et Glenn Greenwald sur la rocambolesque interview qu’acccorda justement Edward Snowden aux deux journalistes avant ses révélations et sa fuite vers Moscou. Et cette interview est un huis-clos d’autant plus étouffant que l’on perçoit intimement que la diffusion médiatique des données sera aussi le déchaînement instantané de forces dont on a encore du mal à soupçonner l’existence. On se sent à la fois détenteur d’un terrible secret, et dans un même temps, à la merci d’une exfiltration en dehors des limites légales, passée la porte de la chambre, et cette impression fait froid dans le dos. Pourquoi ? Parce qu’à l’heure de l’hyper-connectivité, le film documentaire n’est plus le parent pauvre de la famille cinématographique. À l’instar des séries qui diffractent une temporalité impossible pour un long-métrage, proposant ainsi une ambition inédite au récit, le documentaire offre un atout de taille qu’aucun récit de fiction ne pourra désormais plus surpasser : la force brute de l’image.

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Réalisé par Oliver Stone.

Sortie 1er novembre 2016.

Avec :

Edward Snowden – Joseph Gordon Levitt

Lindsay Mills – Shailene Woodley

Laura Poitras – Melissa Leo

Glenn Greenwald – Zachary Quinto

Corbin O’Brian – Rhys Ifans

Ewen MacAskill – Tom Wilkinson

Hank Forrester – Nicholas Cage

Texte : Jimmy Kowalski

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