Ma Vie de Courgette – Claude Barras

En sortant de Ma Vie de Courgette, j’ai pensé à Maus, le chef d’œuvre d’Art Spiegelman, qui raconte l’histoire de son père et de la famille du dessinateur, de confession juive, durant la Seconde Guerre Mondiale. Au-delà de l’histoire poignante de la Shoah, Spiegelman réalisa un coup de génie en dessinant ses personnages en souris pour les juifs, en chats pour les allemands, en cochons pour les polonais, etc. Ce procédé graphique, hommage appuyé à Walt Disney, à Carl Barks et à toutes les bandes dessinées pour enfants utilisant des personnages anthropomorphiques, permit à l’illustrateur de se détacher personnellement de cette tragédie et d’en faire une histoire universelle.

Alors, non, ne vous méprenez pas. Le film de Claude Barras ne raconte pas du tout l’histoire d’une courgette de confession juive. Elle raconte l’histoire d’Icare, un petit garçon qui se surnomme lui-même « Courgette ». Ici, donc, pas d’anthropomorphisme, mais tout de même un décalage entre le ton mélancolique du scénario et la technique d’illustration aux teintes pastels. Icare, pardon, Courgette vit avec sa mère. Il dessine tout le temps. Il raconte sa vie en dessin. Peut-être pour que la vie soit plus jolie ? Ou qu’elle passe, tout simplement ? Qu’elle soit plus légère comme le cerf-volant qu’il accroche aux barreaux de sa fenêtre, tel un drapeau à la vigie d’un bateau. Parce que son autre activité, c’est de construire des modèles réduits de châteaux grâce aux dizaines de canettes de bières que sa mère écluse à longueur de journée, effondrée dans un fauteuil. Jusqu’au jour où sa mère s’en va. D’un coup. Pour toujours.

Courgette est alors envoyé dans un foyer dans l’attente hypothétique qu’une famille d’adoption puisse un jour l’accueillir. En attendant, Courgette va rencontrer d’autres enfants, d’autres petites “gueules cassées”, comme lui, survivant-e-s de drôles de guerre, des guerres qui n’ont pas encore de nom dans la bouche de ces enfants. Mais, comme le dit Courgette, “ça se voit déjà dans les yeux”. Il y’a Simon, Jujube, Ahmed, Alice, Béatrice, et il y’a surtout Camille, dont Courgette va instantanément tomber amoureux, même si, au sujet des filles, ses concepts sont encore un peu… vagues.

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Toute la magie de ce film va donc résider dans une savante combinaison de pudeur et de franchise, dont seuls les enfants ont le secret. En effet, comment parler de violence, de mort, de troubles psychologiques résultant d’abus sexuels en évitant à la fois l’écueil de la comptine niaise, et celui du récit initiatique solennel ? Réponse : en adoptant la radicalité du point de vue des enfants. En insufflant à tout le récit une vision gorgée de candeur et de malice, où les personnages et les décors semblent vraiment dessinés par des enfants et où une blague avec « patate pourrie » peut fonctionner durant un repas de cantine entier. Ainsi, “Ma vie de courgette” rappelle à la fois “L’argent de poche” de François Truffaut, Les “Peanuts” de Charles Schulz ou “Frankenweenie” de Tim Burton. Et, aidé en cela par le procédé de stop-motion, animation image par image, le film arrive à se nourrir d’une gravité propre aux premiers instants du cinéma, au temps de l’expressionnisme et des 16 images par seconde.

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Même s’il n’enlève rien à la maîtrise parfaite de la réalisation, empreinte de la méticulosité artisanale des films d’animation, le scénario et les dialogues remportent à eux seuls tout mon enthousiasme. Évidemment, s’il est un nom qu’on peut aisément associer à l’univers hybride de la pré-adolescence avec son lot de romanesque pop, c’est bien celui de Céline Sciamma. Depuis “Naissance des Pieuvres” à “Bande de Filles”, Céline Sciamma a su dresser des portraits d’enfants du siècle, bien loin des sucreries débilitantes qu’une grande majorité de médias ont trop tendance à faire gober aux gosses, soit-disant “trop jeunes pour comprendre”. Plus tout à faits enfants, pas encore adultes mais déjà émancipés par la brutalité des événements qui ont brisés leurs vies (au choix, un père en prison, une mère en OQT, un père suicidé), Courgette et ses potes affrontent la vie comme ils peuvent, avec leurs propres mots, leurs propres explications un peu bancales. Même si parfois, les traumatismes laissent des plaies béantes, la vie, jamais fantasmée, reprend un chemin un peu chaotique grâce à la camaraderie et la bienveillance.

Enfin, aidé par la touche minimaliste des compositions de Sophie Hunger, la musique du film est un parfait tremplin pour nous replonger avec délice dans les dernières heures du 20e siècle, cet endroit où semble se dérouler l’histoire, cet endroit où l’on écoutait les Bérus quand on avait la rage, qu’on sautait sur les accords élastiques de bruit blanc de Grauzone pendant les boums en classes de neige et que Noir Désir rimait encore avec poésie plutôt qu’avec zonzon.

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Comme vous l’avez donc sûrement compris, ce (court) film – un peu plus de 75 mn – s’adresse avant tout aux enfants à partir de 8 ans, et, disons-le carrément, on est plus chez Huckleberry Finn que chez Dora l’exploratrice, plus chez Dickens que chez Chantal Goya. Mais la qualité de l’animation, extrêmement détaillée, et la précision du script, sans fard, offrent au public adulte un de ces intermèdes légers et poétiques, du genre de ceux qui donnent envie de “fredonner” les chansons de Los Carayos.

Le premier qui trouve la blague, je lui offre un rouleau de réglisse.

Réalisé par Claude Barras.

Scénario de Céline Sciamma d’après le livre de Gilles Paris “Autobiographie d’une courgette”

Sortie 19 octobre 2016.

Avec les voix de :

Courgette – Gaspard Schlatter

Camille – Sixtine Murat

Simon – Paulin Jaccoud

Michel Vuillermoz – Raymond

Raul Ribera – Ahmed

Estelle Hennard – Alice

Elliot Sanchez – Jujube

Lou Wick – Béatrice

Brigitte Rosset – Tante Ida

Monica Budde – Madame Papineau

Adrien Barazzone – Monsieur Paul

Véronique Montel – Rosy

Texte : Jimmy Kowalski

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