RENCONTRE AVEC ROCKY ZERO

Rocky Zero, un vilain au cœur tendre. C’est rue de Strasbourg, à Nantes, où l’équipe de The Unchained  s’est rendue cette fois-ci. Il nous accueille dans son atelier privé, où il travaille avec ses compères Brice Poil et Doberman. C’est avec ses trames empruntées au monde de l’illustration, et ses couleurs rouge et vert qu’on distingue le style de Rocky !

 

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Salut Rocky, raconte-nous un peu qui tu es ?

Je suis Rocky Zero, tatoueur.

Quel est ton parcours artistique ? Comment es-tu arrivé dans le monde du tatouage ?

Je suis ancien musicien, j’ai eu une grosse perte auditive, donc ça m’a empêché de continuer la musique alors qu’on répétait tous les jours, on voulait passer pro.

Tu faisais quoi dans tes groupes ?

Je chantais et je faisais de la guitare aussi. Je n’ai pas pu en faire mon métier donc il a fallu que je me rabatte sur quelque chose. J’ai donc repris les crayons, que j’avais lâchés vers 7-8 ans, à l’âge de 14 ans quand j’ai commencé le graffiti. À 18-19 ans j’ai bien vu que la perte auditive était lourde, pas possible de continuer en musique donc j’ai tout donné en dessin. Après j’ai fait les Beaux Arts, et au bout de trois ans ils m’ont viré… Alors que je tournais entre 9 et 9,5/10 de moyenne, mais le directeur a quand-même réussi à me virer. On était une bande de gaffeurs, mes potes se sont fait choper sauf moi, mais je me suis fait virer de l’école quand-même.

Ensuite, j’ai fait les Arts Déco à Strasbourg, pendant 3 ans, puis j’ai bossé dans la pub pendant quelques années. Au dernier contrat de pub, je m’étais fait un peu de fric et j’ai acheté du matos à tatouer, c’était en 2008.

 

Comment décris-tu ton style et ta technique ?

J’ai un style classique, je suis un tatoueur classique, je fais une tête de tigre, une tête de chien, une pin-up, un cheval, une ancre, une hirondelle, donc je travaille des thèmes de tatouage hyper classiques.

Après je les fais avec un graphisme qui est le mien, qui a été influencé par le graffiti, la BD, les affiches de rock, toutes ces choses-là. Alors c’est vrai que dans le tatouage, ça a pu arriver comme quelque chose de nouveau mais je n’ai pas la prétention de ramener quelque chose de nouveau … Différent peut-être. On me dit que j’ai un style néo-trad, voilà, donc je peux aller dans ce sens si ça vous plaît.

Et au niveau de ta technique, ça se rapproche plutôt de l’univers de la BD comme tu dis ?

 Ouais, c’est des codes un peu BD, le traitement avec les trames que j’ai emprunté à la BD, aux affiches de rock, aux illustrations skate, aux années 1980-90 … Je fais avec ce que j’ai, ce que je suis.

 

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 Comment s’est passée la transition du dessin à la peau pour toi ?

Ça a été chaud et ça l’est encore ! Je dessinais avant de tatouer, ce n’est pas comme mon collègue Brice [Brice Poil, artiste tatoueur chez les Vilains Bonshommes, ndlr] que j’ai pris comme apprenti parce que sa facture en dessin ne s’était pas encore faite, il a vraiment découvert le dessin en même temps que le tattoo, donc l’adaptation a certainement dû être plus facile que pour Doberman ou pour moi. Ce qu’il fait sur papier c’est très tattoo, c’est aéré, moi il a fallu que je simplifie ! Ce n’est pas facile parce que tu as envie de garder tous tes détails mais il faut que tu en dégages une bonne partie ! Brice il a cette aisance … Il m’énerve ce p’tit con ! (rires)

Tu t’es entraîné sur des peaux de cochons ou d’autres supports ?

Jamais, directement sur la peau ! La mienne !

Tu as donc fait tes premiers tattoos sur toi ou sur des potes ?

Les premiers sur moi et puis dès que ça commençait à avoir un peu de gueule, enfin… à peu près propre, j’ai tatoué les potes un tantinet punks. Et longtemps après j’ai commencé à prendre des billets de 10, 20 euros. Ensuite je suis arrivé en boutique, en région parisienne, à Champigny sur Marne, chez des potes, ça a duré un peu plus d’1 an.

 

Quel sont tes sujets et thèmes de prédilection sinon ?

En ce moment j’aime bien les portraits de femmes, les fleurs … j’aime bien dessiner les animaux et les gens. Après il y a tous les autres attributs, ce qui est érotique, je suis un peu accro au cul donc mon univers s’articule beaucoup autour de ça donc tout ce qui va être dentelles, froufrous, fourrure, petits talons, tous ce qui est attributs féminins, ce sont des choses que j’aime beaucoup ! Ça incarne bien le rapport entre le désir, la raison, ce qu’on a d’humain, d’animal … Il y’a quelques années je bossais sur le thème « Fatalitas » … Aujourd’hui j’aime beaucoup l’univers bohème, caravane, vieille France, freaks …

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Tu as fait pas mal de street art, de collages, tu continues toujours ?

Je continue une fois par an. C’est à dire pas trop.

 

J’ai vu que tu avais fais un reportage sur le street art avec tes collages, avec un pote à toi sur France 5…

Avec J.C. (The Blind), on a fait quelques graffitis ensemble. Lui avait des problèmes de vision et moi des problèmes d’audition, on bossait avec la LSF [Langue des Signes Française, ndlr] et le Braille.

 

Ce qui fait que les gens, dans la majorité, ne peuvent pas lire le message que tu leur donne ?

Justement, c’est ça qui était intéressant ! Les gens doivent connaitre un handicapé pour pouvoir comprendre ! Le valide ne comprend pas et c’est l’handicapé qui comprend. Je trouvais ça sympa de retourner un peu la sauce.

 

Et justement as-tu eu des retours de gens qui reconnaissaient tes œuvres ?

Complètement, je recevais des mails. Après j’ai eu des commandes, j’ai bossé pour l’institut des sourds tenu par Emmanuel Laborie à Paris, j’ai fais pas mal d’animation graffiti avec les sourds.

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Quel différence trouves-tu dans le fait de travailler sur un mur ou sur la peau ? Les sensations ne sont pas les mêmes ?

Complètement, les sensations sont différentes mais je garde la même approche de fond et les mêmes rapports de couleur et outils graphiques quand je peins. C’est différent pour le fric aussi ! (Rires) Quand tu peins sur les murs ou sur des toiles, tu crèves la dalle, tu passes ton temps à sucer des queues pour essayer de gratter des subventions, faire des dossiers de 400 pages qui te prennent 6 mois pour peut-être enfin aboutir à une réalisation artistique qui te prendra 3 jours, c’est une passion, c’est un métier … Mais je n’avais plus la patience. Je suis trop entier, trop intègre pour pouvoir passer mon temps à démarcher, à essayer de débloquer des fonds pour faire un art, être pris pour un trou de balle constamment, donc non. Et puis démarcher des galeristes, passer son temps à leur tailler des pipes pour ne pas qu’ils t’exposent parce que tu n’es pas parisien, ou trop goy [Non juif, ndlr]. Te faire piquer tes idées par des gens mieux placés avec plus de moyens !!! Tout ça, c’est fini !

Je n’ai jamais trouvé la moindre expo en démarchant des galeries. Beaucoup de galeristes me connaissaient (j’avais fait une émission pour France 5), certains n’arrêtaient pas de me dire que j’avais du talent, mais il n’y en a pas un qui était prêt à m’exposer donc je me suis tiré et je me suis mis au tatouage. Le rapport est direct, franc, tu as le client devant toi, tu bosses pour lui, sur lui. Il n’y a pas d’arnaques, c’est on ne peut plus humain !

Dans le street art c’est chacun pour sa gueule, dans le tatouage, on est plus dans le partage, il y a moins d’esprit de compétition !

Quand tu peins sur un mur, les gens vont passer devant mais tu auras très peu de retours, souvent c’est fait avec du fric que tu as gratté à la ville donc c’est payé avec leurs impôts, tu te fais prendre la tête par les flics, par les gens parfois. En plus ils ne peuvent pas l’acheter, se l’approprier … Ils ne peuvent pas repartir avec une œuvre chez eux …

Dans le tatouage il y a un rapport d’intégrité, l’artiste et le client communiquent, échangent entre eux ! Les trois quarts du temps tu retournes boire des bières avec tes clients parce que le feeling passe bien et c’est génial ! J’ai une bonne proportion de mes clients qui sont devenus des potes ! Mais ça en art ça n’arrive jamais avec tes clients ou commanditaires.

 

Pour en revenir au tatouage, quelle partie du corps préfères-tu tatouer ?

Les endroits faciles (rires) ! Genre cuisse, bras, où la peau est bien plate, où il n’y a pas de vergetures, de plis, de petites aspérités, que la peau soit bien tendue… Forcément là où ça ressemble le plus à une feuille de papier. Mais en même temps, j’aime bien le côté défi et faire l’artisan.

Là il y a un tatoueur, Simon, qui s’est pointé et il avait un toute petit espace vide ici (il me monte la clavicule), je lui ai fait un barbelé et putain ça a été hyper challenge ! Parce que c’était sur les os de clavicule, c’était hyper sportif et créativement il y pas grand chose ! Mais je me suis éclaté et puis le gars est parti super content, on a bien échangé et on s’est bien marré pendant la session !

Je n’ai pas vraiment d’endroit favoris en fait, je vais tatouer un intérieur de main, le rendu sera surement très trash, on est persuadé qu’il va falloir des retouches, après il y a de la corne, tu es presque sûr que les traits vont fuser mais tu passes un super moment ! Et ça c’est incomparable, c’est pour ça que je mets le tatouage en haut de la pyramide des arts, il n’y a rien qui est comparable à ça.

Et puis c’est éphémère ! L’œuvre d’art va mourir avec la personne, il y a un côté magique dans le tatouage !

 

Et celle, au contraire, qui te fait chier à tatouer ?

Je n’en ai pas vraiment … Les doigts peut-être … C’est difficile de faire quelque chose de beau à cet emplacement.

Pour beaucoup de tes tattoos, on voit que tu t’éclates à fond, qu’elle est l’idée la plus folle qu’on t’ait demandée ? Tu dois bien avoir une petite histoire à nous raconter…

Tous ! La tête d’ours que j’avais faite sur un torse avec écrit « Primitive », c’est parfait ! C’est vraiment les questionnements artistiques que j’ai, effectivement on est des animaux intelligents, on a l’humanité et l’animalité. On segmente tout parce que ça rassure mais on est des animaux, je ne sais même pas si on est plus conscient ou plus intelligent que certains, mais bon ça c’est un autre débat !

 

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Comment se passe une séance chez toi ?

Comme chez beaucoup d’autres collègues, tu découvres ton dessin le jour de ton rendez-vous, je ne l’envoie pas par mail.

Ensuite, si tu veux modifier le dessin, on le fait sur place, ça prendra plus de temps et ça te coûteras plus cher, tant pis. Je suis obligé de me protéger aussi et puis j’explique bien à mes clients qu’ils doivent me faire confiance, pour pas qu’ils arrivent avec une idée trop précise. Il faut qu’ils prennent le temps d’être surpris ! Et surtout qu’ils me fassent confiance je m’applique toujours du mieux que je peux.

 

Pour toi, comment définirais-tu la vraie relation tatoueur/tatoué ?

La confiance ! C’est intime, c’est un peu à mi-chemin entre une esthéticienne et son client et un psychiatre et son patient. Il faut que tu te démerdes avec leurs idées puis que tu les mettes en forme, donc tu rentres dans leur intimité. Et rentrer dans l’intimité de quelqu’un ça peut être perturbant … parfois tu fais un tatouage dédié à quelqu’un de décédé …

Ça peut aussi être accompagné de transfert, donc il faut faire gaffe ! Il faut se protéger, tu peux vite recevoir des mails de gens qui t’aiment bien, qui te parlent de leur vie juste parce qu’elles ou ils ont fait un transfert, donc il faut faire attention.

 

Sur toi, quelle pièce fut des plus intéressantes à réaliser ? Est-ce que tu as un tattoo qui tient à cœur ?

Ouais, un de mes derniers que Brice [Brice Poil, ndlr] m’a faits, c’est cool parce que c’est un rapport de pote, c’est une danseuse de flamenco, je trouve que c’est la plus belle danse du monde ! Je suis accro à ça, j’adore la danse, j’adore danser, j’adore regarder les gens danser, j’adore regarder les couples danser le flamenco, ça m’émeut, ça me fait chialer. C’est de la colère, c’est de l’ivresse, c’est magique quoi ! Je voulais donc une danseuse de flamenco, t’as vu elle a une taille fine, un gros cul, elle est triste, elle est tragique, elle est parfaite quoi !

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Les Vilains Bonshommes a ouvert il y a quelques mois, comment ça se passe dans ce shop privé ?

Avoue, tu veux que je t’explique le pourquoi des Vilains Bonshommes?

(Rires) L’interviewer interviewé !! Avec plaisir !

Les Vilains Bonshommes c’est un groupement d’écrivains, fin XIXème siècle, qui proposait une littérature, une poésie dite « décadente » ; c’est un journaliste qui les a qualifiés comme ça. Ils arrivaient en costard avec haut-de-forme et finissaient à poil sur les tables ! Ça nous correspond très bien avec Brice ! On arrive tout clean et puis on fout la merde !

Sinon vu que c’est un atelier privé, on voit toute la préparation par mail avant le tatouage. Du coup pendant la séance on n’est pas emmerdé par le défilé des clients. On n’est pas emmerdé du tout, on est peinard !

Quels sont tes projets pour la suite ?

On va ouvrir une boutique pignon sur rue, dès qu’on trouve un proprio qui veut bien nous louer, on se barre de l’atelier privé, comme ça on récupère une boutique.

 

Des guests de prévus prochainement ?

Ouais, je retourne chez Morgane [Morgane Mangetesmortsky, au petit atelier de dermographie, Strasbourg, ndlr], les conventions je vais ralentir en 2017, conventions et guests je vais vachement ralentir, le temps de lancer la boutique et puis je recommencerai en 2017.

 

Un petit mot pour terminer en beauté cette interview ?

Je suis fier de pouvoir exercer ce métier, je le fais du mieux que je peux ! Pas facile de trouver le temps de dessiner, d’être un bon papa, un bon patron et un bon tatoueur ! J’espère que les Vilains Bonshommes ça va continuer, ça nous correspond bien, on se sent à l’aise là dedans avec Brice Poil et Doberman.

Merci à Rocky de nous avoir accordé de son temps pour cette interview et on leur souhaite une très bonne continuation à ses Vilains Bonshommes !

Texte : Lëaa

Photos : ©Rocky Zero

Plus d’infos :

Facebook : https://www.facebook.com/rockyzerotatouage

                        https://www.facebook.com/lesvilainsbonshommes

Mail: rockyzerocontact@gmail.com

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