Captain Fantastic – Matt Ross

« And I will not be commanded,

And I will not be controlled

And I will not let my future go on,

without the help of my soul »

J’ai souvent le refrain tiré de cette folk song de Greg Holden dans la tête (oui, je sais, personne n’est parfait, je n’écoute pas tout le temps Coalesce et Botch). Et Captain Fantastic le film de Matt Ross n’a pas manqué, dès les premières scènes, de me rappeler cet air. Sur le papier, tout est là pour m’enthousiasmer.

À la suite d’un événement tragique, une famille de Robinsons post-hippies, avec à sa tête, le père, Ben (le viking d’Hollywood Viggo Mortensen, yeux bleus et mâchoires serrées), doit se confronter à une civilisation moderne qu’elle a depuis longtemps abandonnée. On se laisse embarquer avec un réel plaisir dans les aventures tragi-comiques de cette petite meute qui va devoir affronter, dans le désordre, l’ignorance, la malbouffe, l’iniquité, la pudibonderie et, mère de toutes les vicissitudes de notre monde à la dérive, l’égocentrisme.

Le film de Ross prend très vite des allures de manifeste socio-politique (à grands coups de références bien appuyées à Noam Chomsky et à la République de Platon) en proposant une dialectique très efficace argumentation/contre-argumentation, qui, comme on en vient très vite à ne plus douter, donne toujours raison à notre bande de joyeux flibustiers. Sans vouloir réduire le film à ce qu’il n’est pas (un simple divertissement à conscience écolo), imaginez un mash-up entre Little Miss Sunshine et Into The Wild et vous avez à peu près la tonalité générale du film.

Le fil narratif est relativement simple, certains diront simpliste : un groupe de protagonistes part d’un point A (l’Eden) pour rejoindre un point B (l’Inconnu) afin d’accomplir une mission. Cette mission est l’accomplissement commun que se sont fixés chacun des individus inscrits dans ce groupe à la solidarité sans faille. Bien évidemment, au fur et à mesure du voyage et des obstacles qu’ils doivent surmonter, chacun des membres découvre sa propre “mission”, sentiment généré tant par le doute que par le libre arbitre.

CAPTAIN FANTASTIC

Ce terme (mission) peut paraître incohérent avec le propos libertaire du film. Je préfère vous le dire tout net : oui, il l’est. De la même manière que le père se révèle être obnubilé par sa quête, tel un vieux loup qui ne sait plus rien faire d’autre que combattre, le film, malgré toute sa bonne volonté, devient, à force d’asséner des vérités fondées mais évidentes, un pensum un brin moralisateur. Mens sana in corpore sano ! Un esprit sain dans un corps sain. Passée la première moitié du film, j’en suis venu à me demander si cette citation de Juvénal n’allait pas bientôt clignoter à l’écran en sur-titres à chaque fin de scène.

Attention, le propos de Ross n’est pas non plus coercitif. Il reste totalement bienveillant. Libre à vous de choisir. Ce qu’il fait très bien d’ailleurs, en laissant entrevoir de manière assez subtile l’emprise sentimentale que fait peser le père sur ses enfants. Ce personnage, au départ perçu comme la référence philosophique du sage, se transforme petit à petit en personnage un peu rustre et au sens moral à géométrie variable, et ce, même parfois au mépris de la sécurité de ses enfants. Rendons grâce en cela à Viggo Mortensen, comme d’hab, impeccable dans sa rugosité toute animale. En revanche, le gros défaut du film est d’être, malheureusement comme bon nombre de productions américaines (étiquetées Sundance) très voire trop démonstratif dans son traitement du scénario. Et assez rapidement, d’un synopsis intelligent et suffisamment complexe, on bascule dans un script naïf et pétri de bons sentiments. Telle cette scène (un peu embarrassante) où Ben démontre à sa sœur, à qui il rend visite, combien le système éducatif crée des imbéciles (les deux fils de sa sœur nous sont montrés comme deux Beavis & Butthead gavés de jeux vidéos et de pop culture) en comparaison à la benjamine de Ben (sorte d’adorable elfe hirsute âgée de 8 ans qui analyse la portée des Amendements de la Constitution, fait de la varappe et du close combat et pourrait rivaliser de dextérité avec le plus émérite des neuro-chirurgiens, j’exagère à peine).

En fait, par certains moments, j’ai eu l’impression désagréable de re-voir un film de Coline Serreau, genre “La Crise” ou pire “La Belle Verte”, fable complètement con-con sur une extraterrestre qui débarque sur Terre et découvre toutes les horreurs que nous, sales humains dégénérés, faisons subir à notre belle-planète-si-belle-qui-n’a-rien-fait-de-mal, alors qu’il suffirait de se poser et de faire preuve de bon sens. Yeuk. Tant de bons sentiments me rendent malade.

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Là aussi, je m’emporte, mais Matt Ross a visiblement beaucoup de mal à tenir un cap qu’il s’était visiblement fixé en début de film (caméra au poing, décadrage, travail de la profondeur de champ) pour glisser vers un happy-end un peu nunuche (malgré le déguisement iconoclaste du scénario et de la mise en scène). Il est d’ailleurs assez symptomatique d’un certain état de la notion de politique dans le cinéma aujourd’hui de savoir que ce film a reçu le Prix de la Mise en Scène dans la sélection Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes.

Bon, ça va, ce film reste quand même une très chouette histoire avec son lot de très bons moments de cinéma. Je pars toujours du principe que, pour apprécier un film dans toute sa valeur, il faut impérativement embrasser dans son intégralité le paradigme formulé par le réalisateur au départ. Un peu comme un pacte. Je pense toujours à “Willow” dans les cas où j’ai un doute. Si on ne croit pas à la magie, il n’y a pas de film. Pour “Captain Fantastic”, c’est pareil. Si on ne croit pas qu’un jour l’utopie de Walden pourrait voir le jour ou qu’une gamine de 14 ans peut lire la théorie des cordes, on rate toute la subtilité qui se cache sous des tonnes de surenchère visuelle.

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D’ailleurs, c’est sans doute à la toute fin du film, lorsque la musique (elle aussi un peu trop présente) s’étiole délicatement pour laisser place aux seuls bruits de la meute s’affairant autour de la table du petit déjeuner, qu’on prend conscience du sens du film. Le maquillage – une mise en scène trop démonstrative, une lumière trop léchée, une musique trop tendance arcadefire-esque – aussi sophistiqué soit-il, n’est qu’un maquillage, c’est à dire une enveloppe. Quand on regarde avec attention cette famille dans un acte aussi simple et dénué d’enjeu qu’un petit-déjeuner, on voit toute la force de l’attachement entre eux. La vie dans ce qu’elle a de plus précieux. Les petits riens.

Réalisé par Matt Ross.

Sortie 12 octobre 2016.

Avec :

Viggo Mortensen – Ben

Ann Dowd – Abigail

Kathryn Hahn – Harper

Frank Langella – Jack

Steve Zahn – Dave

George Mackay – Bodevan

Samantha Isler – Kielyr

Annalise Basso – Vespyr

Nicholas Hamilton – Rellian

Shree Crooks – Zaja

Charlie Shotwell – Nai

Texte : Jimmy Kowalski

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