RENCONTRE AVEC NO ONE IS INNOCENT

Groupe emblématique du rock français, No One Is Innocent est une figure à part. Tantôt trash, tantôt électro mais toujours rock, le groupe parisien distille ses chansons souvent engagées depuis 1994. Depuis la sortie de leur premier album éponyme en 1994, No One Is Innocent a connu des changements de personnel et de style mais semble revenir à ses premiers amours avec Propaganda (dernier album en date sortie le 8 juin 2015). Un rock abrasif et direct qui sonne comme un retour aux sources. Ils ont voulu d’ailleurs capter cette énergie lors de leur passage à la Cigale le 30 novembre 2016. Un concert lourd de sens (2 semaines après les attentats du Bataclan et moins d’un an après ceux de Charlie Hebdo, auquel les No One ont invité les survivants sur scène avec eux). Le tout sort sous la forme du DVD Barricade Live. A cette occasion, The Unchained a rencontré Kémar Gulbenkian, chanteur et dernier membre originel de No One Is Innocent….

  • Tout d’abord bonjour et merci de nous recevoir ! 

Avec Plaisir !

  • On est là pour parler (entre autres) de la sorte de votre DVD live « Barricades live », sortie le 13 mai dernier. Pourquoi avoir choisi cette chanson comme titre ?

Déjà, c’est l’un des titres de l’album (Propaganda sortie le 15 juin 2015) mais pas que. Surtout il représente, par rapport à ce concert à la Cigale, vachement l’idée de résistance. Et puis, il symbolise un peu ce qu’on est depuis les débuts du groupe. Et pour finir un de mes potes me disait : “tiens, ce serait marrant de sortir un album qui s’appelle Barricades le 10 Mai”. Parce que le 10 mai ’68, c’était les djeun’s qui posaient les barricades dans Paris…

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  • Le concert commence par un texte scandé par Shankar, poésie activiste et humaniste. Quelle est la balance groupe de rock / activiste politique dans No One Is Innocent?

Nous, notre métier, c’est la musique avant tout. Le fait d’avoir donné un sens à ce groupe, avec les textes qu’il a, ça nous a vachement servit parce qu’on a su très vite qui on était, ce qu’on avait envie de faire, ce qu’on avait envie de dire. Mais avant tout, c’est la musique qui drive. C’est la musique qui drive les textes et pas l’inverse. Et moi, même si je suis le chanteur, je fais partie d’un groupe de musique. Je ne mets pas forcément ce que je raconte en avant, c’est d’abord la musique qui fait jaillir les idées de textes. Si tu veux, le texte de “Djihad Propaganda”, tu ne peux pas le mettre sur “Charlie”, et le texte de “Charlie” tu ne peux pas le mettre sur “Silencio”…

  • Barricades a été tourné le 30 novembre 2015, soit un peu plus de 2 semaines après les attentats du Bataclan. Comment vous êtes vous préparer à ce concert ?

Si tu veux, quand t’es en plein dans la tournée que t’as 4 dates par semaines, t’as pas le temps de te préparer. La seule chose importe pour nous, c’était de savoir si ce concert allait être maintenu. On est No One Is Innocent, on joue boulevard Rochechouart, on a les textes qu’on a : “Charlie”, “Djihad Propaganda”, “La Peau” etc… C’est pas évident. Et en plus, on rajoute une emmerde de plus à notre tourneur et tous les autres parce qu’on veut inviter les gens de Charlie Hebdo sur scène avec nous. Mais heureusement, on a eu des gens de notre côté : notre tourneur, notre label, Corinne de la Cigale. C’est des gens d’une bienveillance incroyable qui nous ont permis, via préfecture, mairie etc…, de pouvoir maintenir ce concert. Je te cache pas que ce soir là, La Cigale, c’était pas l’endroit le plus sécurisé de France mais on l’a fait. Tony, notre régisseur, qui nous a prévenu des attentats. On était à St Brieuc, on faisait le rappel : “Djihad Proganda” dedans, “La Peau” on terminait par “Charlie”. Au moment où on attaquait “Charlie” : bam ! Il a reçu un texto « attentat à Paris ». Il a ouvert son ordi a checke les chaînes info. T’imagines le télescopage de ce qu’il  a vécu !? Nous, on sortait de scène avec une banane pareil et c’est lui qui a eu le rôle de nous apprendre ce qui s’étaiy passé. Quand tu viens de dégager des morceaux avec une telle énergie, avec un tel propos et que t’entends ce qui vient de se passer… on était K.O. debout. On y croyait pas. On s’est dit “putain merde on remettre ENCORE sur notre Facebook en deuil” entre guillemets. Ça, tu le fais une fois, jamais tu te dis on va le remettre. C’est terrible aussi parce que c’est le Bataclan, c’est la culture qui est touché, c’est un groupe de rock. Et puis à côté de ça c’est aussi l’hyper casher. On est focalisé sur le Bataclan mais putain c’est l’hyper casher. C’est juste des mecs d’origine juive qui achètent à bouffer. Et toi, t’es là : “mais qu’est ce qu’ils ont dans la tronche ces mecs-là pour faire un truc pareil ?”. Mais pourquoi tu vas pas t’attaquer à l’Élysée, espèce de connard !! T’as pas de couilles. Si tu veux faire un truc, vas devant le ministère de l’intérieur, vas à l’Élysée. C’est ce qui me dégoûte, qui m’écœure, ce sont des faux culs, des lâches…

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  • John Lennon disait que le rôle d’un artiste est de décrire la société dans laquelle il évolue. Comment trouvez-vous que la société à évoluer depuis les débuts du groupe en ’94 ?

Oula, vaste sujet… Écoute, je penses souvent à Joe Strummer pour être honnête. A un moment donné, j’ai vu un film sur lui et qui parlait de l’histoire des Clash. Il disait :« Avec les Clash, on a tout dit, on a tout fait ». La boucle était bouclée. Je ne sais pas pourquoi mais la boucle n’est pas encore bouclée avec No One. Il peut y avoir cette désillusion de se dire, qu’à chaque fois, à chaque album, tu décris ce que tu vois, parce que nous on est des observateurs de ce qui se passe autour de nous. A travers ça, t’essaies quand même de donner un espoir, parce que t’es dans un groupe de musique et que la musique est un vecteur d’espoir. Et malgré ça, tu prends des baffes dans la gueule. C’est pour ça qu’on est vraiment un groupe de musique et pas seulement un chanteur qui est à une tribune et qui balance des textes…

  • Est-ce important pour un groupe de rock d’être politisé ?

C’est pas forcément important, il y a des artistes qui, à un moment donné, ont sorti des morceaux plutôt engagés sans pour autant être politisés. Nous, pour être honnête, on est pas militant. On est militant avec personne. C’est pas viscéral d’être militant. Par contre, pour les militants qui veulent faire appel à No One pour venir jouer, pour faire un morceau, pour venir défendre une cause, là on peut répondre présent. Et là, on joue avec nos forces, parce que je pense qu’on serait de piètres militants…

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  • Moi depuis que je vous connais, je vous ai toujours considéré un peu que les Rage Against The Machine français ?

Si tu veux, je pense que les gens de Rage doivent soutenir des causes, mais je ne sais pas à quelles limites ils doivent être dans le militantisme…

  • A limite ça devrait être les causes qui soutiennent Rage…

Voilà, exactement. Encore une fois pour être honnête, je pense qu’on aurait peut-être du mal à supporter le rythme militant…

  • Voir aussi le fait d’être estampillé…

Ouais ça aussi, on a toujours voulu faire la part des choses et pas être à Charléty avec Ségolaine Royal. Quand il y a Charléty qui est organisé pour soutenir Ségolaine Royale et qu’il y a une tripoté d’artistes , on nous appelle mais on se dit qu’on a rien à foutre là-bas. Ça ne veut pas dire qu’on a pas d’atomes crochus avec ce qu’elle raconte, mais juste qu’on a rien à foutre là-bas. Notre place, elle est pas là, elle est plus à défendre les mecs de Vitrolle contre le Front National ou alors d’aller défendre les sans-papiers dans Paris…

  •  Des causes sur le terrain quoi…

Exactement : sur le terrain…

  • Quels artistes/groupes No one écoute en ce moment ?

Alors, pas mal le dernier Bowie, quelques titres du dernier Iggy Pop.

  • Ah celui là il est génial ! (Marion photographe)

Pas tout mais il y a certains titres où je me dis : “putain, pas mal !! “. Je me suis aussi remis quelques titres de Cancer Bats, que j’adore…

  • Moi j’écoute beaucoup leur reprise des Beastie Boys…

AH !!! “Sabotage”, elle est terrible, le clip est terrible. Ce groupe a un bon goût. On écoute pas mal de petits groupes qui nous laissent leurs maquettes en tournée. Faut que j’écoute le nouveau Pj Harvey et le dernier Radiohead. Après j’ai pas écouté de gros son qui m’a cogné…

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  • En 22 ans d’existence, No One a connu quelques formations différentes et des évolutions de style… Où en est cette évolution et quels sont les éléments essentiels du style No One Is Innocent ?

Je vais être honnête avec toi, le vrai ADN de No One c’est celui du premier et de Propaganda. Je sais qu’il y a énormément de mecs qui ont kiffé Utopia, mais Utopia c’était une période où on avait envie d’être plus thrash que thrash, dans laquelle moi je m’y retrouvais et en même temps pas. Il était très novateur Utopia, et c’est grâce au producteur américain qu’on a eut aussi, mais le vrai vrai ADN de No One, c’est le premier et le dernier voilà. En fait, on est typiquement le genre groupe qui a commencé avec ce genre d’ADN et qui à un moment donné, à chercher à explorer. On a jamais fait le même album. Utopia, Revolution.com, Gasoline, qui revient un peu plus rock. Puis à un moment donné, au bout de x années…

  • Pourquoi chercher plus loin alors qu’on a déjà.

C’est qu’il y a quelque chose de très cohérent. Tu te remets à bosser sur un album « basiquement » et tu te dis …

  • Il n’y a pas à tortiller du cul.

Il n’y a pas à tortiller du cul, c’est ça. Alors ok, on a fait plein d’expériences, c’est pour ça que je dis dans le doc, « on a fait le tour de nos expériences sonores ». Et à un moment donné BAM! On revient avec notre ADN…

  • C’est ce qu’on voit dans Barricades, qui a un côté « rock brut », pas forcément brutal mais comme tu disais basique…

Oui, c’est instinctif. On s’est dit : “c’est là qu’il faut aller “. C’est aussi la première fois dans l’histoire du groupe qu’on intègre un deuxième guitariste, ce qui nous décuple pas mal de force…

  • A l’instar de X-syndicate qui a fait votre première partie à Toulouse, que pensez -vous de la scène rock en France ?

Écoute, moi il y a un truc sur lequel j’insiste en ce moment, c’est que ça manque de groupes de rock qui chantent en français. Je ne veux pas faire le ringard, le ringos de l’étape mais je dirais que si les mecs ont pas compris que si Les Bérus, Mano, Trust n’avaient pas chanté en français, ils ne se seraient pas fait comprendre. Je ne te dis pas d’avoir des textes engagés, ce n’est pas le propos. Simplement, dans ce pays, quand tu fais du rock les gens ont besoin de comprendre ce que tu racontes. Ils vont vachement plus adhérer à ton groupe parce qu’ils comprennent ce que tu dis. Je sais que c’est dur, moi-même j’en ai chié : dans le premier album de No One, il y a trois titres en français. Heureusement qu’il y a “La Peau” qui nous sauve. C’est dur de trouver son ton, c’est dur de bien écrire, de phraser. Moi, c’est 10 ans après que j’ai commencé à me sentir bien, à partir de “Revolution.com”. Et j’ai dis aux gars : “accrochez vous !!” parce que quand un groupe chante en français, que son imagerie fonctionne,les gens te captent, ils t’aiment encore plus…

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  • Faut juste rester droit dans ses bottes, ta langue, c’est la français alors exprime toi dedans ?

Oui, c’est ça mais, c’est dur. Après, je comprends qu’il y ait la solution de facilité, de choper l’anglais. Mais si j’ai un truc à dire au Rock en France, c’est ça. J’espère que ça va revenir parce que moi je trouve que depuis une dizaine d’années, la plupart des groupes s’est plongée dans l’anglais…

  • On lit souvent que vous n’êtes pas dans l’immédiateté, que vous préférez cogiter avant de parler de tel ou tel sujet, que pensez-vous des réseaux sociaux et de l’ère de la communication instantané en général ?

C’est pas un truc qu’on kiffe. Tu peux t’en rendre compte toi-même : on a pris une décision collégiale, notre facebook n’est pas un espace de débat. Parce qu’on l’a testé chez les autres, on a vu ce que ça donnait et on ne veut pas de ça chez nous. C’est que t’es dépendant d’une centaine de connards, je ne te dis pas tous attention, mais d’une centaine de connards qui vont te pourrir ton truc d’horreurs et nous, on a pas envie d’avoir ça sur notre Facebook. Je sais que de temps en temps, il y a Shanka qui répond à 2/3 sur un ton ogive nucléaire. C’est pas sur ce qui se passe autour de nous, c’est plus sur quelque chose qui nous arrive. C’est quelqu’un qui a pas compris ce qui s’est passé et qui se permet de dire : “oh vous avez dit ça, vous avez agit comme ci”. Non, non attends, c’est pas comme ça, on va t’expliquer. Et là tu ne peux pas avoir de débat, c’est une question, une réponse.

  • Ce sont  les faits…

Voilà. Dans ce cas-là pourquoi pas, mais c’est Shanka. C’est lui qui a le plus de patience dans le groupe…

  • C’est le zen du groupe.

Il est pas si zen que ça mais il a une espèce de patience, un côté sphinx tu vois…

  • Après avoir tourné un peu partout, fait la première partie d’ACDC au stade de France, quels sont les prochains sommets que No One va gravir ?

Je ne sais pas si on va faire plus fort. Déjà si : le Hellfest sur la Mainstage à 15h. Mais bon ,quand tu me parles de jouer avant AC/DC, je penses qu’on pourra jamais faire plus fort dans notre carrière. Pour nous, c’est le sommet. AC/DC, c’est le groupe avec lequel on a grandit, qui nous a formé musicalement, qui nous a appris ce qu’était le heavy rock avec les potards à 11 et des compos qui ont marqué l’histoire de la musique. Et puis, c’est le Stade De France ! Tu rentres sur scène il y a 40 000 personnes, tu sors y’en a 60 000. Là, on touchait le graal…

  •  Justement comment tu redescends après ?

Ce serait malhonnête de te dire « je ne sais pas comment on redescend » parce que tu redescends quand même. Dans nos souvenirs, on ne redescend jamais. Alors que c’est 30 minutes de show, 2 fois, c’est un flash. Par moment à la Cigale il se passe peut-être 10 fois plus de trucs palpables, mais faire ce concert, ce n’est pas QUE le concert en lui même. C’est avec qui tu le fais, tu entres dans un lieu culte. J’ai une anecdote à te donner, le flippe il a pas eu lieu sur scène, ou même quelques instants avant. Le vrai moment de flippe c’est quand on a récupéré nos pass, on remonte dans le bus et là on rentre dans le tunnel. Au moment de choper les pass tout le monde rigolait. Le bus s’est mis à rentrer dans le tunnel, ça dure 1m/1m30 tu vois. Et bah cette minute trente, elle a été terrible.

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  • Ça devient réalité ?

Oui, c’est-à-dire qu’il y a un espèce de mutisme général dans le bus. Et c’est là qu’on comprend les footeux, les rugbymans, les autres qui ont des finales de ligue des champions, des machins comme ça. Quand tu rentres dans ce tunnel, tu sais que tu rentres dans l’arène.

  • Merci à toi Kemar et tout le meilleur pour aller encore plus loin avec No One Is innocent ! 

Retrouvez donc le DvD Barricades Live (disponible depuis le 13 mai 2016), ainsi que le dernier album studio de No One Is Innocent, Propaganda (disponible depuis le 8 juin 2015). Retrouvez aussi le groupe en live lors de leur tournée qui dure jusqu’à mi-août. Toutes les dates disponible sur leur sur leur site www.nooneisinnocent.net )

Texte: Ru5ty

Photos: Marion Fregeac, Mamzelle Bulle Photography

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