
C’est le jour de leur passage parisien au sein de la Machine du Moulin Rouge en tant que support act de Symphony X que nous sommes allés à la rencontre du groupe franco-tunisien Myrath. Fort d’un nouvel album fraichement sorti, Legacy, le groupe développe aujourd’hui une musique et une identité propre qui séduit de plus en plus au delà des fans. Du coup nous sommes allés rencontrer Zaher Zorgatti, chanteur de la formation.
Après Tales Of The Sand, Legacy, son successeur a mis près de 4 ans à arriver, j’ai pu lire que la perte du père de Malek (guitariste) en plus de vous attrister, a eu un sérieux impact sur votre envie de composer. Où avez-vous trouvé la force de reprendre ?
Zaher: En fait il y avait le décès du père de Malek, il y avait la révolution l’instabilité qui était présente en Tunisie. L’instabilité politique, économique et tout, ça fait qu’on s’est concentrés dans la vie quotidienne. Voilà, il fallait survivre quoi. Comment on a trouvé le souffle ou l’inspiration pour revenir en force si on peut dire ça, et bien je crois qu’on s’est dit que malgré tout, malgré le chagrin après la perte du père de Malek, malgré les problèmes, les difficultés internes en Tunisie, malgré tout ça on devait surpasser ces obstacles et revenir à ce qu’on aime, à ce qu’on fait et voilà. Pour nous survivre c’est aussi composer, partager l’amour qu’on a avec nos fans à travers la musique que nous faisons.
A l’écoute de Legacy il y a une chose bien troublante, on retrouve de plus en plus d’intonations à la Mats Leven dans tes envolées, tu t’en es rendu compte ou bien on te l’a déjà signalé ?
Non jamais, mais je trouve que c’est un très grand compliment parce que je suis fan déjà (rires). Mais c’est moi. C’est la première fois qu’on me dit ça, c’est flattant et c’est vraiment cool pour moi.
C’est sincère en tous cas.
Et bien ça fait plaisir, en tous cas je n’ai pas essayé de l’imiter, j’ai juste chanter avec ma voix tout en étant moi même. J’ai plus forcé sur cet album concernant les voix plus agressives et graves mais il est vrai qu’il fait partie de mes modèles et quand on me dit ça et bien ça peut faire que plaisir.
Tu ne le sais peut être pas, mais dans The Unchained on essaie de parler autant de cinéma et de musique, alors quand un groupe choisit de donner un rendu cinématographique à sa musique et bien ça nous parle. Concernant le clip de Believer vous avez fait appel au crowdfunding qui est une franche réussite pour un rendu assez bluffant au niveau du clip. Où avez-vous cherché les idées ?
Oui oui tu as vu il est pas mal pour un groupe comme Myrath (rires). Et bien tout ça c’est grâce à nos fans, ça s’est fait en moins de deux mois. On a réussi à collecter 10 000 euros même voir plus. Avec ça on a payé la postprod pour terminer le clip. On a voulu faire un truc qui n’était pas trop cher mais qui était visuellement acceptable si c’était filmé en réel. J’ai fait de la photo, j’ai étudié en direction de la photo et tout. Ça a été vraiment filmé en réel mais là on a fait appel à Icode team, qui est une maison de production qui a fait bosser pour Amaranth, Symphony X et d’autres. Ça a été cool de collaborer avec eux et Yvan le réalisateur. On a choisit ce thème médiéval oriental un peu fantastique en traversant des univers parallèles et d’autres dimensions. C’est un message de paix et d’espoir aussi parce que quand je dis ‘Believe and carry on’, il faut vraiment y croire encore et encore et comme nous tous nous sommes des believers donc voilà. C’était une très belle expérience en tous cas et on a essayé de faire un mini film du style “300”, entre “Prince Of Persia” et “Assassin’s Creed”.
Ce qu’on fait c’est un mélange entre le metal ocidental et la musique tunisienne qui est riche car la Tunisie à 3000 ans d’existence.
Surtout quand on voit aujourd’hui qu’il y a beaucoup de labels qui choisissent de diminuer la production sur les clips en choisissant du live ou des vidéos lyric et là on a Believer qui est travaillé, recherché. Pour Myrath il y a un certain attachement à la question du clip ?
Et bien en tant qu’artiste ça fait partie de l’art, ça ajoute un plus beaucoup plus grand que la vidéo live. Car quand tu fais un clip il y a du travail, celui des cameramen, celui du directeur de la photographie, les techniciens, la postproduction. Il y a un investissement pour faire ce produit, c’est plus difficile mais c’est plus convaincant que faire des clips en situation live. C’est bien, on aimerait en faire aussi mais si on le fait à la Dream Theater en très bonne situation comme sur leur titre “Wither” filmé à la alexia ou à la red one. Toute la mise en scène, la lumière c’est du top du top, si on fait comme ça se serait vraiment génial même si avec la 5D et ses petits sœurs on peut faire quelque chose de très bien si c’est bien fait (rires).
Comment faites-vous pour ne pas tourner en rond et ne pas être résumé à simplement à un groupe de Metal oriental comme certains médias aiment faire avec facilité ?
En fait déjà nous sommes un groupe franco-tunisien car on a un producteur en la personne de Kevin Codfert qui fait parti de la famille et aussi des choix qu’on prend et il y a Morgan le batteur qui est de Lyon donc on ne peut plus dire de nous que nous sommes un groupe tunisien mais plutôt franco-tunisien. Ce qu’on fait c’est un mélange entre le metal occidental et la musique tunisienne qui est riche car la Tunisie à 3000 ans d’existence. Dans notre musique tu trouves du berbère, du amazir, de l’andalou ou bien une autre gamme inspirée par la musique africaine et aussi des gammes orientales amenées par les ottomans, tu trouves de la musique occidentale aussi. La Tunisie est l’un des pays les plus ouverts si ce n’est le plus ouvert vers le monde occidental ! Et voilà, ce que tu trouves en Tunisie tu ne peux pas le trouver nécessairement en Orient. On dit toujours c’est du metal oriental, on a rien contre, on est fier de le représenter même si on vient du maghreb mais la culture musicale de la Tunisie est encore plus riche. Tu peux trouver des gammes orientales dans la musique tunisienne mais quand tu vas au Liban ou en Egypte tu ne peux jamais trouver des gammes berbères ou tunisiennes, ou bien des gammes andalous qui viennent du Sud de l’Espagne. Dans l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, ces gammes andalous on les appelle le maalouf et on les retrouve aussi dans le Sud de l’Espagne. Donc c’est riche au niveau des échanges.
C’est comme la khomsa qu’on retrouve sur le cover de l’album, c’est un symbole pour le mauvais œil et c’est 100% tunisien. C’est juif tunisien à l’origine, ce sont le juifs du pays qui ont créé ça et après tu peux le retrouver un peu dans l’orient, l’Egypte mais surtout dans le Maghreb puisque le berceau est chez nous car il y a aussi de juifs marocains, algériens. Donc voilà (rires). Mais on n’a pas peur d’être catégorisé dans le Metal oriental car je crois qu’on a apporté quelque chose de nouveau pour la scène Metal car tu vois, même les groupes occidentaux de Metal essaient de faire quelques chansons un peu orientales mais ce sont souvent les mêmes clichés du genre “Asterix en Egypte” et tout, la gamme mineure, lalalalaa (rires) Mais voilà quoi, alors que nous c’est notre culture, notre richesse notre histoire et tout ! Ce qui fait qu’on n’a pas que la gamme mineure et on a des gammes de fous et ce n’est pas facile de l’intégrer, de faire ce mélange homogène entre notre culture musicale et le Metal… C’est plus riche que l’on pense…
Pour en venir à cette richesse musicale fascinante, est-ce que tu connais Anouar Brahem et Dhaffer Youssef ?
Bien sûr, ce serait génial de faire une collaboration avec eux car on est fan et ce serait un grand honneur pour nous de faire un truc ensemble et comme nous on est vraiment une fierté pour la Tunisie mais eux encore plus. Moi j’adore en tous cas, le côté abstrait, soufi, c’est absolument magnifique.
On est bien d’accord. En tous cas on espère aussi car après la date avec Dream Theater, maintenant c’est avec une autre de vos plus grandes influences avec qui vous êtes en tournée, Symphony X. Qui est le prochain ?
Je ne sais pas mais mon idéal serait de vraiment tourner avec Dream Theater car on a joué qu’une fois avec eux. Pour ainsi gagner le public de Dream Theater parce que je suis sur qu’ils vont aimer le produit et même le groupe nous connait très très bien. On est très potes avec Jordan Rudess mais comme tu le sais, les dicos ce ne sont pas eux qui commandent… C’est le business, les producteurs, les managers, etc; ils aiment bien qu’on fasse un truc ensemble mais c’est entre nous, entre les zicos mais on va devoir attendre et qui sait, un jour on fera une belle tournée avec Dream Theater.
Et en parlant de cette tournée avec Symphony X, tout se passe très très bien, le gars de Symphony X déjà on en est fan vu qu’on a commencé comme cover band du groupe et maintenant on partage la scène avec eux. Mais le seul point noir de toute la tournée c’est le tour manager qui nous a privé de tout sound check pendant celle-ci… Je ne sais pas pourquoi il a pris cette décision, j’ai parlé avec lui deux fois, il m’a dit tout simplement qu’il n’y avait pas de sound check et ça c’est juste pour Myrath… On a eu le droit qu’à un pseudo line check mais quand même on casse la baraque quand on monte. Ça nous fait chier de voir ce genre de comportement et ça nous gâche la tournée.
c’est l’opium du peuple l’art, c’est avec ça que l’on va les vaincre.
Votre concert était initialement prévu au Bataclan et malheureusement les événements du 13 novembre ont fait que le concert se déroule ici (La Machine). Mais tout d’abord comment as-tu ressenti ces attentats mal je m’en doute mais surtout quand on est issu de deux cultures certes différentes mais stigmatisées en France par certains de plus en plus nombreux.
Je crois que ce qui s’est passé au Bataclan a été un drame mondial et pas uniquement pour la France. Un drame mondial pour les musiciens, les gens normaux, tout le monde. Tout ce qui se passe aux alentours de la musique et de la scène en générale, ça a été un choc énorme pour tous. Même pour nous qui étions à ce moment là en Tunisie. Je me suis dit ça s’est passé en France, au Bataclan, on y déjà joué et franchement je te le dis, on avait un truc dans le cœur tellement lourd. Comment on ne peut pas stopper ces gens là, c’est une minorité qui fout le bordel partout et qui ose parler au nom de la majorité. Je me suis dit c’est au Bataclan, demain se sera au Théâtre municipale de Tunis mais c’était le cas en fait car il y avait eu les attaques en 2015 avec le bus, le musée et chez moi à Sousse il y avait aussi la plage. Je ne comprends pas comment ces gens peuvent agir ainsi, même les animaux ne sont pas cruels et barbares. Ils sont en train de salir l’image des musulmans, ils parlent au nom de l’islam alors qu’il est très loin de tout ça. Je connais des gens qui sont vraiment pratiquants et fiers de l’être mais dans un esprit d’ouverture et de partage de la vie. Il n’y a pas d’Islam modéré comme pourrait le penser les occidentaux car c’est ça l’Islam, il doit être comme ça, généreux. Mais pour les terroristes, c’est soit tu pratiques comme je te le dis soit tu es contre moi, c’est comme le pauvre berger tunisien au sud de la Tunisie qui s’est fait égorgé par les terroristes qui ont pris refuge dans le montagnes. Et ça c’est sous prétexte que c’est un traitre car il a appelé les flics leur signalant des mouvements bizarres dans les montagnes. Mais le pauvre, ce n’était qu’un berger… Tu vois ce n’était pas un politicien, un militant, c’était seulement quelqu’un qui voulait aider son pays. Je ne comprends pas ce qui se passe dans le monde franchement, faut combattre avec l’envie de vivre, l’espoir l’art, ce qui nous fait de nous des hommes ! La richesse de nos cultures. Le cinéma, la musique, encore de l’art et de l’art, c’est l’opium du peuple l’art, c’est avec ça que l’on va les vaincre. C’est tout.
D’autres suivent votre chemin en se battant avec l’art. On a découvert cette année Nawather et leur excellent Wasted Years devenant le 2nd groupe tunisien à véritablement émerger. As tu écouté l’album ?
Je l’ai écouté et c’est magnifique. J’aime bien ce qu’ils ont fait, ils ont accentué les instruments orientaux. Mais je ne sais pas si c’est plus death ou prog’ mais ils sont en train de suivre comme Myrath la même ligne. D’ailleurs notre ex-batteur, et ami, est le leur maintenant. Je leur souhaite la réussite et tout le bonheur, une avancée et encore plus de maturité dans les compositions car surtout ça change entre une prod et une autre.
Je voulais avoir ton avis concernant cette triste histoire avec Phil Anselmo. Les avis divergent sur son comportement et beaucoup semblent avoir encore du mal avec raison à lui pardonner son geste. Qu’est-ce que tu penses de tout ça mais surtout est-ce que vous, en tant que tunisiens, avez déjà ressenti un vrai racisme dans le metal ?
En fait ce n’est pas la première fois qu’il le fait savoir, déjà avec Pantera, Down, et encore dernièrement. Ce qu’il pense est vrai, c’est le fond de sa pensée et ce n’est pas de la blague, le racisme existe clairement dans le metal. Privé Myrath de sound check alors que nous sommes le groupe qui ouvre directement pour la tête d’affiche comme on l’a fait pour d’autres, ça se fait comme ça normalement. C’est le groupe qui ouvre pour la tête d’affiche qui fait le sound check et non pas celui d’avant qui est là comme opening band de la soirée alors que Melted Space a eu le sound check en toute invraisemblance…. Le tour manager est juste venu comme ça, en mode “fier américain”, “voilà, pas de sound check pour Myrath pendant toute la tournée”. Je ne m’arrêterais pas dessus mais pour moi c’est un genre de racisme que je ne tolère pas tout comme Anselmo qui a dit “White Power” ce que je ne tolère pas non plus au même niveau. Ce n’est pas comme ça qu’on avancera et faut le dire clairement que la question du racisme est partout et que nous vivons tous dans le même monde….
Tout comme Confess, ce groupe iranien menacé de peine de mort qui a beaucoup secoué la communauté du Metal. Comme tu sais, dans beaucoup de pays du proche et du moyen orient on risque encore la prison au minimum. Peux-tu m’en dire plus à ce sujet et comment vis-tu cette situation. ?
En Égypte, Liban et Jordanie non, en Syrie avant non. En ce qui concerne le Maroc il y avait eu un petit accident mais non plus car après t’avais tous les activistes et les journalistes qui se sont emparés de ça. Maintenant au Maroc tu as un tremplin consacré à la scène, le boulevard des jeunes aussi. On a joué récemment et il y a du Metal partout (rires). Avant l’Irak aussi il n’y avait pas de problème. Pays du golfe sauf l’Arabie Saoudite il n’y a pas de problème et l’Iran c’est le problème actuel. C’est malheureux car on mélange tout maintenant, l’art, la musique, c’est comme pour Persepolis, le film a été accusé pour atteinte à la dignité, Dieu où je ne sais plus quoi. Le metal en Iran, en Arabie Saoudite et au Yemen est vu comme un acte diabolique alors que ce n’est que de la musique, de l’art, je ne sais plus quoi trop penser sur tout ça, c’est malheureux et triste à la fois.
Pour finir sur une note positive, j’aimerais que tu partages avec nous et nos lecteurs un groupe ou un artiste qui te tiens particulièrement à cœur. Connaissant la richesse musicale de Myrath, nous sommes toujours friands de découvrir encore plus.
Pas un groupe mais un compositeur égyptien qui s’appelle Omar Khairat, c’est un génie et sa musique est un cadeau. C’est tout.
Et bien on va aller découvrir ça avec plaisir et je te remercie pour ce moment que tu nous as accordé, ce fût un plaisir.
Et bien pour moi aussi, merci à toi.
Entretien réalisé par Anthony et Mats L
Myrath sera en concert au Divan du Monde à Paris, le 23 juin 2016. Un concert Veryshow.
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