ETHS – ANKAA

Quand tu suis un groupe depuis quinze ans, tu ressens systématiquement ce mélange bizarre avant l’écoute de chaque nouvel album, ce cocktail d’appréhension et d’excitation, cette panique euphorisante qui te transcende. Me voilà donc dans cet état au moment où je m’apprête à découvrir Ankaa, la nouvelle production du combo marseillais Eths.

Cover

Les bases sont posées avant même la lecture du disque. Ankaa, ou Alpha Phoenicis, est l’étoile la plus brillante de la constellation du Phénix. On s’attend donc à un album faisant référence au cosmos et, surtout, à la symbolique de la renaissance, au fait que tout est en perpétuelle évolution. On pense donc immédiatement au départ de la charismatique et inoubliable Candice Clot, remplacée derrière le micro par Rachel Aspe, ainsi qu’aux différents changements de line-up que le groupe a connu en presque vingt ans de carrière. Il y a aussi cette pochette qui ne nous rappelle aucune autre dans leur discographie. Après la poupée désarticulée de Sôma, le lapin dépecé de Teratologie et la femme tribale de III, nous voilà aujourd’hui face à un visuel épuré, composé d’un crâne aveugle, de triangles, et le tout sur un fond sombre avec des impressions en sanscrit. Nous sommes donc prévenus : il ne faut pas s’attendre à du Eths tel qu’on a pu le connaître. On ne prend pas les mêmes, et on ne recommence pas.

Et après la rapide intro de « Nefas », le postulat se confirme. Une espèce de death chaotique retentit, les instruments sont difficilement dissociables, et la voix est presque du back vocal. Rien n’est particulièrement mis en avant, tout est dans la globalité, dans la création d’une atmosphère dérangeante. Avec le tryptique « Nefas » / « Nihil Sine Causa » / « Amaterasu », on redécouvre Eths. Staif Bihl, dernier membre originel de la formation et toujours aux manettes de l’aventure, nous propose une autre vision du malsain, moins schizophrénique, mais toujours autant torturé. Nous sommes surpris par l’inclusion de passages électroniques dans « Nihil Sine Causa », et tout autant par l’arrivée inattendue de la voix de Sarah Layssac, délicieuse chanteuse d’Arkhan, qui apporte à ce morceau ainsi qu’à « Ameratsu » une touche du regretté projet Am’Ganesh’An (dont nous n’avons malheureusement plus de nouvelles depuis 2007). Une ambiance orientale torturée qu’il fait bon de découvrir.

L’album change tout d’un coup de couleur avec « Seditio ». La magnifique introduction au piano d’une bonne quarantaine de secondes nous plonge immédiatement au cœur d’une maison victorienne à l’abandon, hantée par les drames passés. Le tempo y est plus lent, plus fantomatique. La guitare entêtante rythme la superposition du chant clair et du chant guttural. Le duo contrebasse/violoncelle rajoute à l’atmosphère angoissante du morceau, tout en lui apportant une réelle élégance. Avec ses 8 min 58, « Nixi Dii » se paie le luxe d’enchaîner des séquences instrumentales avec d’autres a capella dans une ambiance monastique, auxquels s’ajoutent des parties de chant clair où Rachel revêt le timbre d’une Emilie Simon par encore assez torturée pour traiter de l’infanticide. Je ne suis pas totalement convaincue par ce morceau qui manque un peu d’aboutissement, d’autant que la barre avait été placée bien haut dans la piste précédente.

Autre ambiance, autre temps, « Vae Victis » nous propose un sample très trip-hop sur ses couplets. Staif reprend le micro pour renforcer les parties claires de Rachel. La part belle est faite à la batterie, enregistrée pour l’occasion par Dirk Verbeuren (Soilwork) sur tout l’album, R.U.L. ayant récemment remplacé Guillaume Dupré mais n’étant pas disponible pour l’enregistrement. Dans la team Soilwork, c’est Björn Strid, le chanteur, que nous retrouvons en renfort sur le morceau très indus « HAR1 ». Deux chansons très surprenantes qui dénotent totalement avec ce que l’on pourrait attendre d’Eths et qui, bien que sympathiques, peinent à trouver leur place sur ce disque.

Sur « Sekhet Aaru », nous retrouvons avec plaisir Sarah Layssac et l’ambiance orientalisante des premiers morceaux. J’espère qu’elle pourra accompagner le quartet marseillais sur certains live, car il serait vraiment dommage de remplacer ses vocalises, piliers du titre, par des samples. Avec « Kumari Kandam », les fans de la première heure pourront se délecter de couplets très « Animadversion », renforcés par un refrain très catchy et une ambiance résolument moderne. Le disque se clôture sur un second triptyque, composé cette fois-ci de « Alnitak », « Alnilam » et « Mintaka ». A l’inverse des premiers titres, ces trois-là impulsent un tout nouvel univers, beaucoup plus léger et aérien. Les lignes de chant gardent cet esprit un peu torturé, mais il s’efface bien vite derrière ce quelque chose de plus lumineux et une basse, assurée par Damien Rivoal, beaucoup moins grasse qu’à l’accoutumée. L’album se finit sur le bruit des vagues qui se brisent (sur le Vieux Port ?) et nous bercent, comme pour nous dire « tout ira bien ».

En somme, il y a à boire et à manger dans cet album. Tel qu’on le pressentait, Ankaa marque un certain tournant dans la carrière du groupe, concrétisant les changements radicaux de line-up, et surtout le temps qui passe. Staif Bihl nous emmène au fur et à mesure du disque dans des univers bien distincts, auxquels on adhère ou non. On ne peut que féliciter la prise de risques, et l’affirmation ferme de la nouvelle identité du groupe. Cependant ce changement si radical pose une réelle question : peut-on conserver le même nom lorsque l’on a tant changé ?

Texte : Charlotte Sert

ETHS, Ankaa. Sorti le 22 avril 2016 chez Season Of Mist

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