The Vision Bleak + Guests @ Le Petit Bain, Paris – 14/04/2016

Il y a des affiches qui font rêver un peu plus que les autres, laissant vous demander qui mérite le plus d’être en tête, tant les groupes/artistes proposés sur une même tournée sont mythiques dans leur genre respectif. Pour ma première fois au Petit Bain, c’est le cas avec trois noms qui sentent bon la fin des années 1990/première décennie des années 2000, même s’ils parlent très peu aux plus jeunes d’entre-nous. Le seul vrai risque d’une telle affiche finalement, c’est des attentes trop importantes, et donc une déception potentielle. Déception il y en aura mais ça n’aura rien à voir avec la musique, j’y reviendrai.

La salle, cette petite Maroquinerie sur l’eau, à la configuration quasi-parfaite, où chaque spectateur peut voir la scène, peine à se remplir ; on croise quelques vampires et gogoths au maquillage un poil chargé venu(e)s manifestement pour The Vision Bleak, les paires de New Rock sont légions et on verra même des couples faire des selfies devant la scène, cute, tandis que l’orga commence à prendre un peu de retard et celui qui était il y a encore quelques mois sur cette même scène, mais en tête d’affiche cette fois [avec Agalloch ndlr], commencera son set un peu à l’arrache.

Frustré d’avoir raté la date des Américains en août dernier, il me tardait de pouvoir apprécier l’œuvre du Maître en solo. On aurait pu penser qu’il serait accompagné d’un musicien live, mais c’est seul que John Haughm se présentera à nous pour 45 minutes de voyage initiatique dont il fera la bande son, l’écran derrière lui mettant en image son parcours, et un corbeau empaillé au-dessus d’un drap dont on comprendra ce qu’il cache plus tard.

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Nous voilà donc partis dans une expérience expérimentalo-mystico-contemplative difficilement descriptible, qui aurait été parfaite pour accompagner un film comme Dead Man. On ne comprend pas tout, mais on se laisse transporter facilement, le charisme de l’homme aidant, multipliant les effets. Notre regard, quant à lui, passera son temps à switcher entre la projection derrière le maître, et lui-même, notamment lorsqu’il se servira d’un os pour caresser ou faire bourdonner sa guitare.

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Au public il n’adressera pas un mot, histoire qu’on ne puisse jamais se détourner du trip dans lequel il nous embarque, même si de temps en temps il relèvera la tête pour nous regarder, sauf que ses yeux seront cachés derrière d’épaisses lunettes. Et comme vous vous en doutez, c’est sans un mot que John Haughm sortira de scène, nous laissant quelque peu circonspects. Alors même si on n’a pas forcément tout compris de ce à quoi on vient d’assister, on a néanmoins apprécié ce moment.

Une transition rapide, et c’est cinq Danois qui vont maintenant se présenter à nous pour ce qui sera pour moi LE coup de cœur de la soirée.

Si on demandait aux gens de citer UN groupe de doom danois, il y a 99% de chances qu’ils citent Saturnus (bon, la plupart seraient incapable d’en citer un, j’en conviens). Malgré leurs, seulement, quatre albums en vingt ans et leurs multiples changements de line-up (on ne compte plus les guitaristes qui ont participé au projet), Thomas Jansen, à l’image d’un Christoffer Johnson, solide leader, est toujours présent depuis le tout début et continue petit à petit à mener sa barque. Pourtant dans l’ombre de formations de doom plus connues (My Dying Bride et d’autres), Saturnus a depuis bon nombres d’années bénéficié d’un statut de groupe un peu culte, notamment par la qualité de leurs compos et leur sens de la mélodie. Donc oui, j’avais hâte, d’autant plus que les concerts de doom se font rares et que j’avais raté My Dying Bride une semaine auparavant.

Nous voilà donc partis pour plus d’une heure, je crois, de doom/death ultra mélodique dont les huit morceaux (beh oui, on est dans un concert de doom) seront piochés dans toute la disco du groupe, de leur premier album Paradise Belongs To You à celui qui va sortir cette année (avec le titre « Thorns »). Ce qui surprendra c’est l’attitude du groupe, à la fois souriant, voire déconneur, contrastant avec la joie de vivre véhiculée par leurs morceaux, comme l’humilité dont Thomas Janssen fera preuve, notamment quand il s’excusera d’utiliser des bandes pour un morceau. Et là où on aurait pu croire que le groupe serait complètement statique, on assistera à quelques jolis moments de jeu de scène, notamment grâce à Gert Lund (guitare) à la chevelure impressionnante, multipliant headbang et headspin, créant des forts jolis mouvements.

Des temps forts il y en aura, même si l’ensemble du set aura été un régal, cette longue pièce qu’est « Forest of Insomnia » se sera pour moi détachée du lot, dont les 10 minutes conclues par le sublime solo plaintif de Rune Stiassny pour une véritable leçon de mélodie. Brillant. D’autant plus que les cinq Danois auront la bonne idée d’enchaîner avec le titre bien plus goth rock qu’est « Empty Handed », histoire de bien contraster avec le morceau précédent.

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Vous l’avez compris, j’ai été plus que conquis (bon, en même temps je manque d’objectivité vu que j’adore le genre), mais les concerts de doom se font tellement rares que lorsqu’on assiste à autant de maîtrise, et d’attitude positive, on ne peut qu’adhérer…

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Si la soirée s’était terminée par Saturnus, j’en aurais voulu à personne, tant c’était bon (attention, j’aime beaucoup The Vision Bleak aussi), et pourtant ce n’était pas le « main event » de la soirée.

En 2012 sortait The Deathship Has a New Captain, premier véritable album de The Vision Bleak, projet d’horror/gothic metal proposé par Tobias Schönemann (Allen B. Konstanz) leader de Ewigheim, et de Markus Stock (Ulf Theodor Schwadorf) leader du duo légendaire Empyrium, un peu le genre d’albums qu’on découvre par hasard, à l’époque où on pouvait encore acheter des CDs promo. Alors on teste, on écoute, on regarde la vidéo de « Wolfmoon » et on prend un plaisir fou à retrouver l’ambiance des premiers albums de Moonspell, sortis quelques années plus tôt. On espère alors avoir la chance de les voir sur scène. Il faudra attendre 2016 pour que ce soit le cas alors je ne vais pas bouder mon plaisir.

On découvre enfin sous le drap la croix cassée de la tombe délicieusement kitsch et minimaliste qui servira de décor au combo allemand. Ils auront eu l’intelligence de ne pas en faire des caisses, histoire de ne pas sombrer dans la caricature, et ça c’est plus qu’appréciable. Et on part pour une grosse heure d’hommage à l’horreur et au fantastique. D’un côté on retrouve Schwadorf qui assure le lead guitar et les growls. Konstanz, aux faux airs de Bowie ce soir, quant à lui, assurera logiquement le chant et une grosse partie du show, car là où un paquet de groupes ont tendance à se prendre (beaucoup) trop au sérieux, The Vision Bleak parviendra à mettre énormément d’humour dans leurs interludes, j’y reviendrai.

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Au cours du set, faisant même une grande place à leurs premières sorties, dont je suis friand, on se rendra compte du pouvoir tubesque de certains morceaux : si en album des titres comme « Kutulu ! » ou « The Night of The Living Dead » font déjà leur petit effet, sur scène ils deviennent des véritables hymnes du genre, d’une grande efficacité. De Lovecraft à Romero en passant par John Carpenter (ces claviers tellement années 1980 sur le titre « Elizabeth Dane »), les Allemands nous embarquent dans la série d’hommage aux maîtres de l’horreur avec brio. Si le charisme de Konstanz est indéniable, c’est également par son humour qu’il parviendra à conquérir un peu plus le public (grâce en partie à ses tentatives de parler en Français, tentant même des jeux de mots, avec ce délicieux Allemand qui rappellerait presque parfois celui de Roland Giraud dans Papy Fait de la Résistance, un régal.) Mais on aurait sans doute imaginé que le duo formé avec Schwadorf monopoliserait l’attention ; c’est sans compter sur des musiciens live pas là pour faire simplement leur job : multipliant les poses et regards complices avec le duo, ils prendront pleinement part au show dont la setlist aura été sans faille, sans aucun moment de flottement, d’ailleurs même le rappel (conclu par l’excellent « The Lone Rider » se fera sans interruption, sans doute histoire de rattraper le retard pris).

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Une très bonne soirée au final donc, malgré quelques pogos qui n’avaient pas lieu d’être (après tout, on est à Paris, ça semble être inévitable), et bien que ce titre n’ait pas été joué ce soir, on peut aisément le reprendre pour résumer cette soirée, « The Charm is Done », point.

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Une nouvelle fois merci Garmonbozia de nous avoir offert ces groupes mais aussi Prophecy Records pour son catalogue sans défaut, et rendez-vous au Hellfest pour se prendre une inratable double dose « schwadorfienne » [The Vision Bleak et Empyrium, ndlr] le dimanche 19 juin !

Texte : Mats L.

Photos : Mélanie B./Mats L.

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