DEFTONES – GORE

La beauté n’est pas visible facilement par tous, elle se mérite…

C’est un huitième opus très attendu et tellement important que DEFTONES nous livre. Après quatre ans d’attente et un Koi Noi Yokan qui aura fait voyager plus d’un fan dans le mélodique si intense  du groupe (m’aura aussi réconcilier avec leur musique), et bien les mecs de Sacramento arrivent aujourd’hui avec un Gore bercé de mystères et de doutes et, qui plus est, est le premier après la disparition de Chi Cheng il y a déjà trois ans, le 13 avril 2013. Quoi qu’on en dise, le deuil est un lent processus, surtout avec un proche aussi important. La douleur était bel et bien présente auparavant mais c’est Gore qui aura la lourde tache d’exprimer ce Deftones post-2013. Une nostalgie de ces années, une mélancolie douce, une rédemption pour se recentrer et tourner la page ? Tout d’abord avec une pochette  totalement énigmatique quand on voit ces flamands roses en plein vol. Les questions  affluent et certaines risquent d’être sans réponses ou inattendues comme la principale qui est sur toutes les lèvres: où en est Deftones aujourd’hui ?

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C’est “Prayers, Triangles”, premier extrait des plus classiques dévoilé par le groupe, qui ouvre ce Gore. Il ne s’en trouve pas si éloigné que ça de la touche du groupe à laquelle on était habitué. Il reste le plus abordable et le plus attendu pour la majorité. Un grand souffle, certains sont assurés mais la suite arrivant et Deftones explore et s’aventure, usant à la limite d’un doom moderne avec le doublé “Acid Hologram” et “Doomed Users”. On est moins virevoltant, plus posé avec un riff alourdit, mais toujours guidé par la voix de Chino, le deuxième titre retrouve l’agressivité connue du groupe et il la balance dans une version plus brut, moins polie contrairement à ce qu’on l’habitude d’entendre chez Deftones.

L’intensité de Koi Noi Yokan n’est plus là mais les nuages de ces mouvements atmosphériques de ce dernier sont plus présents en nombre, et un titre comme “Entombed” qui dévoilait cette volonté mélodique et plus mélancolique se retrouve plus précisément dans Gore. Les titres se démarquent les un des autres même si le mid-tempo est prévalant et les ambiances atmosphériques à la limite shoegaze se font encore plus ressentir. Le menaçant “Geometric Headdress” nous balade avec ses guitares légères et  ses ambiances spatiales portées par la voix de Chino ; mais le titre s’emballe en un rien de temps dans une rythmique encore plus sombre et menaçante. Tout est en nuance sur chaque titre, apaisé ou plus remonté, mais surtout dans des nuances distillées avec parcimonie et intelligence pour rester dans un certain ton, celui de l’honnêteté avec une envie d’avancer autrement… N’hésitez pas à entrer dedans et après il  en sera difficile de s’en libérer.

Une patte new/cold wave est bien présente et “Hearts/ Wire” en est l’image, tout en esthétique discrète et raffinée sur quelques notes, balançant la guitare et la voix un peu en retrait sur le mix mais tout en adéquation, le titre est un petit bijou à la limite de la drogue qui transporte et apaise l’esprit.

Une mélancolie ambiante et une douceur triste nappent cet album. La voix se veut moins « poussée » mais use avec raison quand il le faut. Les émotions s’en ressentent encore après écoute. Dans un côté ambiant et nostalgique aux couleurs très 80-90’s à la touche post punk et New Wave sur les mélodies aériennes, les influences de Chino se font plus profondément ressentir, surtout quand on connait ses projets personnels. Mais au-delà de ça, l’âme de Deftones est bel et bien là. On sent moins cette force du gros riff bien metal que Carpenter combinait entre lourdeur et légèreté, ce riff Deftones qui savait se faire aérien tout en étant grisant dans sa force de corps mais il se rappelle à nous par moments.

Dès “Pituura Infamante”, les mélodies évoluent et emprisonnent l’auditeur dans des structures plus complexes qu’elles n’y paraissent. Des titres comme “(L)mirl” ou “Gore” avec son ambiance inquiétante sont de plus en plus en profondeur  et emmènent l’auditeur dans un endroit qu’il ne connaissait pas encore vraiment avec Deftones. On s’y installe tout doucement et les rêves emboités deviennent réalités, difficile de se réveiller quand on y est. Seul “Xenon” s’avère d’une autre saveur, plus légère, et même là le groupe distille une mélodie qui attache et use de son effet apaisant.

Une touche raffinée et discrète sur certains titres, dans  un album qui dévoile ses secrets au fil des écoutes car chaque titre a son caractère, son parfum bien à lui, enivrant, déstabilisant ou rassurant. Les fragrances ne sont pas si flagrantes et la force de la création est là. Elles sont travaillées, recherchées et offrent un parfum certes différent mais qui au final reste marqué de la patte du groupe. La force de Gore réside dans sa capacité à nous étonner et nous accrocher par sa justesse et son émotion propre distillées au fil des ambiances. Sans s’en rendre compte, les écoutes s’enchaînent alors qu’on s’en trouvait dubitatif à l’origine (pour certains).

Gore délivre de nombreux visages et cherche la rédemption au fil de l’abum, s’en allant sur chaque titre, cherchant l’apaisement interne  comme fatigué de tristesse. L’impression que donne le magnifique “Phantom Bride” n’en est pas loin. Comme une rédemption sur le final couplé à un au revoir porté par ce solo de Jerry Cantrell (Alice In Chains), invité sur l’album. Cette mariée est peut-être un visage du groupe qui s’éloigne comme un esprit libéré pour que les autres puissent enfin s’exprimer au mieux et entamer un nouveau chemin.

Le titre qui clôture cet album au nom si évocateur n’est peut être pas là par hasard. “Rubicon”, ce fleuve italien dont toute personne qui osaient le franchir se lançait dans cette entreprise aux conséquences risquées. Le groupe ose et voit au-delà car personne n’avance sans risque. C’est pour cela que la démarche est plus que louable et ne peut être qu’encensée. “Rubicon”, magnifique titre dans un final à l’image du reste, en appelle à la beauté et la fragilité dans ce refrain lumineux que le groupe contrebalance avec le reste de la composition. Deftones est toujours présent mais s’exprime différemment et ça lui réussit. Les structures se marient, la légèreté des mélodies accompagnée par la lourdeur de certains riffs sont reconnaissables entre mille mais apportent ici un autre souffle.

Tout simplement unique, inspiré, plus subtil.

Ce n’est pas l’album le plus facile d’accès et il n’est peut être pas à la hauteur des chefs d’oeuvre que sont White Pony et Koi Noi Yokan car l’intensité propre à Deftones et qui fait sa force ne se retrouve pas, mais par sa différence il n’en est pas loin quand on va au-delà des apparences premières. Après le chef d’oeuvre précèdent, ce huitième opus est comme une envie d’ailleurs et d’autres choses comme ces flamands roses se dirigeant vers la lumière du sud, cette source de chaleur réconfortante, une certaine douceur qui nous prête à rêver pour ne plus penser et sortir de l’ombre. Car comme Baudelaire le souligne “Les rêves soulagent un moment la bête dévorante qui s’agite en nous.” Ce besoin est là et cet album en est l’image

DEFTONES, Gore, Warner Music, Sortie 08/04/16

Texte: Anthony

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