
Le mercredi 16 mars, nous avons profité de la présence à Paris des britanniques d’Enter Shikari pour aller les rencontrer dans les locaux de Deezer France. Au lendemain de leur concert au Trabendo et entre deux soundchecks pour leur concert privé quelques heures plus tard, nous avons réussi à poser quelques petites questions à Rou Reynolds (chant) et Rory Clewlow (guitare) à propos de l’avancée du groupe, de l’actualité européenne, et de leurs derniers coups de cœur.
Vous revenez d’une tournée réussie des arènes en GB et ceci en tête d’affiche, le groupe a atteint une nouvelle dimension dans sa carrière ?
Rory : Oui, ça a été les plus grosses salles dans lesquelles nous avons eu la possibilité de jouer, c’est clairement un autre niveau pour nous. C’était assez stressant pour nous de commencer cette tournée sans savoir si nous allions vendre suffisamment de billets, nous devions garder la foi. C’est plus sécurisant pour nous de jouer dans des plus petites salles en sachant que toutes les places vont se vendre, mais tout s’est bien passé. Mais oui on a l’impression d’avoir franchi une étape, d’être entrés dans une nouvelle ère. Tout dépend de comment le nouvel album sera reçu et si on peut continuer à jouer dans des très grandes salles.
The Mindsweep, l’album avec le label Hospitalised, enchainement des tournées avec des salles de plus en plus grandes, de retour en Europe et en France comment faites-vous pour tenir avec tout ça ? (rires)
Rory : L’avantage de tourner dans un tourbus, c’est que l’on peut dormir quand on veut. La première chose que l’on fait chaque jour est le soundcheck vers 15h, donc on peut dormir autant qu’on veut jusque-là (rires). Donc c’est un peu moins crevant qu’un job normal où l’on doit être au bureau de 9h à 17h.
Oui mais vous avez moins de jours de repos, n’est-il pas difficile d’être si loin de chez vous chaque jour ?
Rory : Nous avons pu passer Noël et la plupart des mois de décembre et janvier à la maison, ça c’était cool. Ça nous a permis de faire une pause après une intense tournée en Europe. Ensuite nous avons fait cette tournée au Royaume-Uni. Deux semaines de break. Ensuite cette tournée en Europe. Une semaine de break. Et après la tournée aux USA. Donc ce n’est pas si mal agencé jusqu’en septembre. Et après nous retournerons en studio.
Revenons sur le cœur d’Enter Shikari, j’ai l’impression que depuis les années 2000, au fil des albums on a une volonté de justice sociale de plus en plus forte et plus réfléchie avec des sujets importants sur The Mindsweep mais il garde un côté optimiste alors que le monde s’assombrit de plus en plus. Comment faites-vous ? Toujours aussi optimiste ?
Rou : Je ne suis pas toujours optimiste ahah ! Je pense que c’est plus la musique qui a ce côté optimiste, plutôt que nous. Mais je pense que c’est un des buts de notre musique, de transmettre de l’espoir, de la détermination, de la solidarité, et plein de trucs positifs. On n’est pas vraiment du genre à écrire de la musique quand on est complètement déprimés dans nos chambres ! Il y a une place dans le monde pour ce genre de musique, mais même dans nos chansons un peu plus lentes, il y a toujours ce truc positif. On essaie de couvrir tout un spectre d’émotions, la vraie vie quoi. Nous sommes joyeux, et tristes, etc.
Avec cet engagement constant qu’est le vôtre, sentez-vous une prise de conscience de votre public ? Avez-vous des retours ?
Rory : Il y a pas mal de gens qui nous disent que nous les avons inspirés, notamment dans leurs analyses des situations socio-politiques. Beaucoup nous disent que grâce à ça ils se sont lancés dans des études de science politique, de sociologie, à l’université ou ailleurs. Nous inspirons en effet quelques personnes.
Rou : C’est assez flippant de voir que des gens changent le cours de leur vie et que nous avons une grosse part là-dedans. Quand on a une telle influence sur les gens, c’est assez terrifiant et étrange.
On voit de moins en moins de jeunes groupes et d’artistes rock investis, avec un message fort et des vraies idées à travers leurs textes alors que le monde s’assombrit (Rage Against The Machine, Bruce Springsteen…). Pour toi un groupe de rock se doit d’être une force de sensibilisation obligatoirement ?
Rou : Non, il y a aussi de la place pour de la musique rock à propos d’autres sujet. Mais si tu te qualifies toi-même de « punk », c’est autre chose. Le « punk » est complètement relié aux notions de Do It Yourself et d’indépendance, aux faits d’être la voix de ceux qui n’en ont pas, de défendre les intérêts de sa communauté. Il y a plein de groupes aujourd’hui qui se disent « punks », mais ils ont beau être lookés comme des punks, en dehors de ça ils n’ont rien de punk. C’est un peu frustrant, nous trouvons une grande partie de notre inspiration dans la musique en ce qui concerne les problèmes sociétaux, notamment dans le spoken word, le hip hop anglais, et même dans le grime. Le grime britannique est une scène où tout le monde s’entre-aide, c’est hyper DIY, très indépendant, et c’est très inspirant. Beaucoup de groupes de rock pensent de manière très égoïste, il n’y a plus vraiment de camaraderie.
« This is an appeal, to the struggling and striving stakeholders of this planet » intro de Mindsweep. C’est un cri d’alarme pour la Terre, comme Architects avec Sea Shepherd n’as-tu jamais songé à representer une ONG comme ambassadeur ? Laquelle ?
Rou : Nous travaillons beaucoup avec Action 8, Teenage Cancer Trust, la coalition Stop The War, les campagnes pour le désarmement nucléaire, etc. Je suis très intéressé par différentes problématiques, donc je ne pense pas avoir le temps d’être l’ambassadeur d’une seule ONG.
Que pensez-vous de l’issue de la COP 21 et des accords non-contraignants qui en sont ressortis ?
Rou : C’était clairement celle avec les meilleurs résultats. Avant, la seule chose qu’ils arrivaient à en ressortir, c’était « Nous allons nous réunir à nouveau, nous avons réussi l’organisation d’un nouveau meeting ! » Bravo ! (rires) Je pense qu’avec celle-ci, la roue commence enfin à tourner, les choses commencent enfin à avancer. C’est un peu plus prometteur. Mais le secteur de l’énergie, le lobby du pétrole sont toujours trop puissants, ils sont toujours très forts pour mettre un frein aux progrès.
Cameron joue le chantage du referendum du Brexit avec l’Europe pour durcir encore les conditions d’immigration. Quelle est votre opinion à ce sujet en tant que Britanniques ?
Rou : Je pense qu’on n’a rien à gagner à quitter l’Union Européenne. Je comprends que ça ennuie des gens, toutes ces décisions prises par l’UE et pas par des assemblées locales, ou par les gouvernements des pays. Mais l’UE a été créée en réaction à la seconde guerre mondiale pour agir ensemble, avec la solidarité que pourrait avoir une seule nation. C’est finalement devenu autre chose, mais c’est quand-même à célébrer. En ce qui concerne les migrants, tout le monde semble switcher vers la droite, fermer les frontières. On voit ça aux USA et en Europe. C’est juste de la politique de la peur. Quand tu regardes les chiffres, que tu vois comment les immigrés aident l’économie, aident à faire progresser la société, c’est très frustrant. Je ne sais pas comment ça se passe en France, mais au Royaume-Uni les médias de droite sont très puissants, et ils sont tout le temps là « Peur ! Peur ! Peur ! ». C’est frustrant.
Ne penses-tu pas que cette étape au Royaume Uni risque de sceller le devenir de l’Europe et favoriser les idées d’extrême-droite ?
Rou : C’est ce qu’il se passe. La majorité des gens ne s’intéresse pas à la politique. Ça les affecte mais ça ne les intéresse pas vraiment. Si tu prends un journal et que tu lis quelque chose écrit avec de la peur, comme les trucs classiques sur des gens qui vont venir te piquer ton travail, ou des trucs plus extrêmes comme le fait que les gens vont venir et voler, et piller, et tous les trucs du genre, le truc avec la psychologie humaine c’est qu’on prête plus attention à la peur, c’est un réflexe de survie. C’est pour ça que ces journaux vendent beaucoup, c’est pour ça que la droite est tant populaire. A gauche, enfin… Je me retrouve souvent dans la gauche mais je trouve ce terme un peu trop minimisant, voire archaïque. Mais ça prend plus de temps pour persuader et raisonner les gens du coup. C’est incroyablement frustrant.
The Mindsweep a mis la barre assez haute, l’album avec Hospitalised a aussi sa propre identité, qu’est ce qui est prévu pour la suite ?
Rory : On a commencé à en parler. On a deux ou trois démos, qui en sont vraiment au stade embryonnaire. C’est difficile de savoir à l’heure actuelle à quoi ça va ressembler réellement, c’est dur d’avoir une vision d’ensemble. Nous avons pour habitude de composer de façon très instinctive, en fonction de ce que nous écoutons sur le moment, donc on ne peut pas vraiment prévoir ce qui va en ressortir.
La richesse musicale chez Enter Shikari n’est plus à démontrer, votre dernière découverte et coup de cœur musical ?
Rou : Hum, Father’s Sons, un groupe mélodique écossais, des potes à nous.
Rory : On écoute aussi beaucoup de pop des années 1980.
Rou : Du grime britannique, Jamie en particulier, Charles Bradley…. (il cherche dans sa playlist spotify)
Rory : Everything Everything
Dernière question, vous citez souvent des auteurs intéressants qui vous inspirent, quels sont les livres que vous lisez en ce moment ou dernièrement ?
Rou : Je lis en ce moment Les Consolations De La Philosophie par Alain De Botton.
Rory : Je lis deux livres en ce moment, The Shining de Stephen King, et 1984 de George Orwell. Je l’ai déjà lu mais je le relis en ce moment, il y a plein de trucs amusants et instructifs sur l’économie dedans.
Merci à Rou et Rory, à HIM Media et à Julien, ainsi qu’à Deezer France de nous avoir permis de réaliser cette interview entre deux coups de cymbales !
Interview réalisée par Charlotte Sert / Anthony
Photos : Instagram/Jordhughesphotos
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