
Quand les musiciens de metal ne tournent ou n’enregistrent pas avec leur groupe principal, il est très fréquent de les voir officier pour d’autres formations, qu’elles soient blues, jazz, ou simplement acoustiques. On pense notamment à Jack Owen (Deicide), grand amateur de blues, Jeroen Paul Thesseling (ex-Pestilence, ex-Obscura) ou encore Karl Sanders (Nile) et Brent Hinds (Fiend Without a Face/Mastodon). Des formations qui leur permettent à la fois d’exprimer une musique plus personnelle, et de retrouver la chaleur des clubs, bars et autres salles plus petites dans lesquelles ils retrouvent une plus grande proximité avec le public et surtout l’occasion de jouer sans l’importante logistique habituelle. Le tout sans forcément gagner d’argent, juste se faire plaisir, et offrir autre chose au public.
Là on parle de musiciens, mais bon nombre de chanteurs possèdent aussi leur projet parallèle. Des projets qui leur permettent aussi d’apporter la preuve que ce sont souvent d’excellents chanteurs, Dallas Green (Alexisonfire) en est un très bon exemple avec City And Colour, ainsi que les 3 chanteurs qui nous intéressent ce soir, pour une affiche absolument sublime dans cette Péniche lilloise.
La tournée ne faisant pas escale (jeu de mots trop évident) à Paris, j’ai décidé de remonter dans le Nord, histoire de retrouver mes racines, et de découvrir avec plaisir une salle dans laquelle je n’étais jamais allé lorsque j’habitais encore à Lille (et je le regretterai encore plus après ce soir, mais j’y reviendrai).
La Péniche, c’est une petite salle de spectacle aménagée à l’intérieur d’une péniche amarrée sur la Deûle et où peuvent se retrouver une centaine d’âmes. L’étroitesse du lieu offre une acoustique assez unique tout en offrant une vraie proximité avec le public (je ne me remettrai jamais de voir sortir des toilettes Scott Kelly, car oui, j’ai été pisser après lui !), lieu idéal pour les concerts, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de sets acoustiques comme les trois qui nous intéressent ce soir.
1e artiste à se présenter devant nous, The Leaving. Si ce nom ne parle sûrement pas à grand monde, il s’agit du projet de Frederyk Rotter, leader des suisses de Zatokrev (là tout de suite, j’ai un peu plus votre attention). Si The Leaving existe véritablement depuis 2013, Frederyk Rotter avait déjà sorti un premier album acoustique en 2010 intitulé Even If We Sleep. Avec Zatokrev, Rotter excelle dans un chant hurlé qui se marie très bien à l’atmosphère souvent pesante crée par le groupe. Inutile de vous dire que là on est dans un registre totalement différent : qui aurait pu imaginer qu’une voix aussi jolie, aussi fragile, pouvait sortir de la bouche d’un grand blond chevelu et barbu suisse, qui avec les titres proposés ce soir, et notamment le délicieux « hurtmachine » nous permet de rentrer dans l’intime du chanteur, et même s’il regarde beaucoup ses doigts lorsqu’il joue de la guitare et qu’on voit qu’il est un peu moins à l’aise dans cet exercice (pourtant bien épaulé par Mathieu, son musicien). Cette tournée permet à l’artiste, de présenter des titres de son premier album qui sortira d’ici peu, et vue la qualité de ce qu’il a montré ce soir, j’ai vraiment hâte de pouvoir en entendre plus.
Ceci étant, si l’étroitesse du lieu offre une excellente acoustique pour la musique, en contrepartie on a tendance à entendre tous les bruits de la salle, notamment les conversations des mecs qui auront du mal à se taire pendant toute la soirée, et ça c’est bien dommage, ce sera sans doute LE point noir de la soirée, avec également cette odeur d’œuf pourri provenant du canal. Si la mise en bouche a tenu toutes promesses, et mieux encore, ce qui va suivre va être encore mieux.
Colin Van Eeckhout est définitivement un artiste fascinant. Quand il ne performe pas (ce serait réducteur de ne parler que de chant) au sein d’Amenra, l’anversois est toujours à la recherche d’autres projets, d’expériences. Et avec CHVE, c’est une autre de ses facettes que l’on va découvrir ce soir. Le tout commence par une projection sur écran, un feu au milieu d’une forêt, toile de fond de la performance de ce soir, accompagnée d’un long bruit sourd. Habitué aux lieux atypiques, toujours à la recherche de lieux à l’acoustique la meilleure possible, il ne va pas être déçu ce soir. L’homme s’installe, une vielle à roue sur ses genoux, qu’il fait tourner, tourner, encore et encore, devant un public en grosse partie belge (proximité de la frontière oblige et grosse fanbase), démarrant une procession qui va durer une bonne demie-heure au sein de son album RASA. Le projet CHVE est difficile à définir, on a l’impression d’assister à une sorte de « liturgie tribale expérimentale » : une liturgie qui nous fera penser très souvent à du Dead Can Dance, la voix de Colin se rapprochant de celle de Lisa Gerrard, dans le caractère solennel et plaintif notamment. Mais également tribale donc, avec la présence de son percussionniste, qui régulièrement sera mis au premier plan, martelant des rythmes à la limite du tribal et même du martial. Une performance touchante, grave, à laquelle il aura été difficile de rester indifférent et dont on ressortira presque groggy, performance si singulière qu’on était presque mal à l’aise de prendre des photos, de peur de perturber ce moment avec le son du déclencheur de notre appareil…
Touchés, voire atteint par la performance du sieur Van Eeckout, la soirée n’est pourtant pas finie avec un monument du post metal, Monsieur Scott Kelly. S’il est désormais souvent compliqué d’aller voir Neurosis (qui font peu de dates dans nos contrées, la plupart du temps rapidement sold-out), il est plus qu’heureux de voir que l’homme, comme son comparse Steve Von Till, aiment tourner en solo, sortant régulièrement des albums acoustiques, et nous offrant de sublimes concerts intimistes.
Si au sein du groupe d’Oakland, les deux leaders forment un tout, il est intéressant de voir le contraste entre les deux hommes leurs tournées solo, permettant d’en savoir un peu plus sur chacun d’entre eux : Quand Steve von Till se prépare tranquillement sur scène avec son verre de vin et sa théière, avec une attitude proche de celle d’un dandy, chez Scott Kelly on retrouve une simple bouteille d’eau et une attitude bien plus « brut de décoffrage ». Le poids des épreuves de la vie se ressent énormément chez ce dernier, et on sent que c’est à travers son art qu’il parvient à exprimer ses émotions. On le savait, mais ce soir permet encore plus de voir à quel point l’homme est abîmé, fragile et ses chansons en sont le reflet dans sa forme la plus brute, la plus sincère, que ce soit dans ses propres titres, ou lorsqu’il reprend le « Cortez the Killer » de Neil Young. Et histoire de finir en beauté, c’est CHVE qui viendra le rejoindre pour un sublime « Tecumseh Valley », issu de l’album de reprises de titres de Townes Van Zandt et sur lequel on retrouve Wino comme Steve Von Till.
Sans aucune prétention, bien au contraire, Kelly nous emmène dans les tréfonds de son âme, et même s’il restera un grand timide, il fera tout de même preuve d’un certain humour, et même auto dérisoire lorsqu’il parlera de ses difficultés à accorder sa guitare tout seul lorsqu’il n’est pas en tournée avec Neurosis.
Comment conclure après cette expérience en trois actes…je pense que définitivement, ce genre de soirée représente tout ce que je préfère, entre l’acoustique, la proximité avec le groupe et un public dans son ensemble cool et respectueux, on a l’impression d’être dans son salon, loin des salles parisiennes bondées. Je n’ai pas eu le temps de tester le bar, mais de ce que j’ai vu, ça avait l’air sympa, et le merch’ était abordable, et ça, ça compte aussi. Donc avec un immense plaisir je reviendrai, merci à l’orga de la Péniche et aux artistes d’avoir rendu tout ça possible et à très bientôt !
Texte et photos: Mats L.
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