
Serait-ce déjà Noël ? Nous pouvons nous poser la question dès la sortie de la projection du Pont des Espions. Imaginez, un film réalisé par Steven Spielberg, accompagné de sa dream team fétiche : Tom Hanks dans le rôle principal, Janusz Kaminski à l’image, Michael Kahn au montage. Il ne manque que la bande originale de John Williams. La musique est en effet signée par Thomas Newman. Bien que réussie, elle ne possède pas la puissance des cuivres du compositeur habituel de Steven Spielberg. Cependant, Le Pont des Espions est remarquablement conçu et cela commence par son scénario. Le film marque une collaboration insolite, puisqu’il est écrit par les frères Coen.
Que ce soit par la dimension chorale jouant sur plusieurs arcs narratifs, les dialogues cinglant, une histoire dotée à la fois d’ironie, d’humanisme, d’humour noir et de personnages intéressants, Le Pont des Espions est imprégné de la patte Coen. Le film est riche et passionnant, la symbiose de ses différents auteurs fonctionne parfaitement.
L’histoire se déroule en 1957, en pleine guerre froide opposant les États-Unis et la Russie. Chacune de ces puissances chassent les espions dans leur pays, dans un contexte d’éventuelle guerre nucléaire. Tom Hanks incarne James B. Donovan, un avocat chargé de défendre des assureurs. Un métier peu reluisant, mais qu’il tient à cœur. Donovan est un homme de valeur, avec un sens de l’éthique et de l’honneur infaillible, quelque soit l’accusé qu’il doit représenter.
Pour cela, le gouvernement américain le choisit pour défendre un espion russe capturé à New York. Très vite, le spectateur réalise que le procès n’est qu’un prétexte pour les scénaristes pour développer différentes idées. Comme celle de la remise en question de la Constitution si chère aux américains. Le gouvernement peut-t’il bafouer ses propres lois, sous excuse que cette anicroche permet de défendre la nation contre l’ennemi ? Cette question prend étrangement une tournure très actuelle, même chez nous, en France. Nous pensons évidemment aux dérives engendrées par la situation d’état d’urgence suite aux attentats du 13 novembre, avec quelques arrestations arbitraires, des perquisitions musclées ou des assignations abusives. Un gouvernement peut-t’il prendre le risque de rejeter ses propres valeurs et piétiner les libertés individuelles pour combattre l’ennemi ?
Ce genre de questions importantes est posé tout au long du film, mais Steven Spielberg a l’intelligence de ne jamais faire de son récit quelque chose de trop politique ni de trop compliqué. Le film a pour objectif de divertir, mais aussi d’interroger. Jamais l’inverse. Le rythme reste soutenu, malgré de nombreuses séquences de dialogues procéduraux. En cela l’apport positif des frères Coen est flagrant. Le précédent film de Steven Spielberg, Lincoln, qui donnait également lieu à différentes séquences de tribunal, ne possédait par leur touche humoristique et pouvait finir par décourager de nombreux spectateurs. Ce que ne fait jamais Le Pont des Espions, grâce à des dialogues parsemés de petites piques ou d’un certain second degré.
La reconstitution historique est aussi criante de réalisme, que ce soit dans les rues de Brooklyn ou de celles du Berlin de la fin des années 50, divisé par le Mur. Le scénario prend une tournure différente vers la moitié du métrage, puisque Le Pont des Espions ne se déroule pas uniquement sur le sol américain. Lorsqu’un pilote américain est abattu avec son avion au dessus de la Russie et qu’un étudiant en économie est fait prisonnier en Allemagne de l’Est, leurs vies deviennent une monnaie d’échange. Donovan est alors expédié par la CIA à Berlin, afin d’échanger les prisonniers contre le leur. La CIA est évidement plus préoccupée à récupérer leur pilote pour les informations qu’il détient que pour sa sécurité. La prestation de Tom Hanks, magistrale, permet de se concentrer d’avantage sur les valeurs et les questionnements de l’humain, que celle de la simple application des lois et de course aux informations secrètes. C’est une nouvelle fois, un vrai plaisir de voir cet acteur campé un monsieur tout le monde projeté dans une histoire exceptionnelle.
Au final, Le Pont des Espions est sûrement l’un des meilleurs films de l’année, ni plus ni moins. De sa séquence d’introduction sous forme de film d’espionnage dans la plus pure tradition, jouant sur la paranoïa, du jeu du chat et de la souris avec gadgets et poursuite dans les rues de Brooklyn, au crash spectaculaire de l’avion ou de nombreux moments plus intimistes avec des acteurs très bien dirigés, c’est une franche réussite. Quelque soit le sujet ou le genre abordé, Steven Spielberg prouve à chacun de ses films qu’il est un fabuleux conteur d’histoire. Sa réalisation finit toujours par toucher et intéresser son public, grâce à son humanisme et son optimisme infatigable.
Texte : Arnaud
Bridge of Spies (Le Pont Des Espions), de Steven Speilberg, sorti en France le 2 décembre 2015
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