SHINING + CALIGULA’S HORSE + JACK DALTON @ DIVAN DU MONDE, PARIS – 18/11/15

La France a peur.  C’est en reprenant cette célèbre phrase de Roger Gicquel citée il y a près de 40 ans, dans le « 20 Heures » de TF1, que je souhaite débuter mon article. Et même si le contexte dans lequel elle a été prononcée est largement différent, elle est plus que jamais d’actualité. Mais contrairement à ce que bon nombre de Politiques se sont pressés de venir nous dire, voire nous conseiller,  on a le droit d’avoir peur, et elle peut même être utile, pour peu qu’elle participe à notre survie.  Après tout, tout dépend de ce qu’on en fait, et à quel niveau/point elle nous empêche de vivre : si elle nous permet d’être à l’avenir plus prudent, d’ « éviter » certaines situations risquées, elle est pleinement utile, voire nécessaire. Dans le cas contraire, si elle nous paralyse, sans nous permettre d’agir…

 

Les événements qu’a subis la ville de Paris ces derniers jours, et je vais être volontairement provocateur, peuvent se transformer ironiquement en de formidables leçons de vie, qui rappellent que notre existence est précaire. Alors si on doit mourir, autant que cela arrive après en avoir profité au maximum. Et si ces événements, aussi tragiques soient-ils, peuvent nous rapprocher de l’essentiel, de ce qui nous anime (et la musique en fait évidemment partie, tous fans que nous sommes), alors on aura su retirer quelque chose de ce drame. Et si, en plus, il nous incite à être un peu plus attentifs aux autres… (Bon ok, ça aura duré tout de même deux jours, le parisien moyen aura rapidement retrouvé sa mauvaise humeur et son manque de civisme, mais on pourra saluer l’effort, comme lors de l’après 7 janvier). Place donc à la musique ce soir, « comme si » rien ne s’était passé. Plusieurs jours se sont écoulés, les annulations de concerts ont été nombreuses, tout comme les craintes d’annulation. Alors on peut d’ores et déjà remercier Garmonbozia (et les groupes, tout comme le Divan du Monde) pour avoir voulu à tout prix cette soirée à l’affiche prestigieuse si peu de temps après les attentats qui ont secoué Paris, également véritable « prise de température » de la détermination des fans de métal, touchés, mais jamais battus, continuant à faire ce dans quoi ils excellent, plus que tout autre « communauté », à savoir remplir des salles de concert et venir soutenir les groupes dont ils sont fans.

 

Test pour les metalheads dans leur ensemble, mais également pour moi, qui va me permettre de savoir, et ce malgré l’admiration que je porte aux groupes qui s’apprêtent à jouer, si ce qu’on a vécu ce week-end de novembre a un impact sur mon travail, tant en photo que dans mon écriture, verdict en fin de report pour se faire un avis…

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Et tandis que l’on fait la queue…et qu’on est quasiment les seuls, on commence un peu à s’inquiéter. Et bien qu’il soit encore assez tôt, les gens arrivent au compte-goutte devant la salle jusqu’à l’ouverture des portes, et on va jusqu’à craindre que les mecs de Jack Dalton ne jouent que devant une poignée de personnes.  Sauf que, à croire qu’ils sont tous arrivés en même temps, c’est une salle qui se remplit plus qu’honorablement. Paris réussi a priori donc. Autre inconnu pour moi, avec le choix de la surprise/découverte, ce à quoi ressemble le son du combo norvégien qui ouvre ce soir. J’imagine, vu les autres groupes à l’affiche, à un groupe de prog comme la Scandinavie sait si bien en produire.  Erreur, une nouvelle fois. C’est du côté de The Dillinger Escape Plan bien plus que de Leprous qu’on retrouve Jack Dalton, si vous voyez ce que je veux dire, pour un beau bordel de mathcore/hardcore/post quelque chose (appelez ça comme vous voulez). Du mathcore oui, parce que maîtrise totale,  le combo originaire d’Oslo ne se contentant pas de simplement faire du bruit et de sauter dans tous les sens (je ne vise personne). Et même si c’est pas forcément ma came (l’effet de surprise jouant sûrement aussi dans mon jugement) parce que c’est un poil confus à mes yeux, force est d’admettre que ça joue super bien et que c’est bien plus subtil que ça peut en avoir l’air, avec en plus un frontman (Jimmy Nymoen) excellent qui viendra pogoter de bon cœur avec le public, mais également s’adonnera à quelques séances de câlins avec eux, pour une soirée qui s’annonce pleine d’amooour.  Et que serait un putain de leader sans des musiciens qui envoient, parce que je ne peux pas me permettre de ne pas leur rendre hommage, mention spéciale à Frederik Otelo, probablement un futur Ben Weinman (The DEP)… Au final donc oui, une surprise, une certaine décontenance, mais un très bon moment malgré tout, à revoir dans un autre contexte.  Pour l’heure je dois vous avertir.

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Vous en avez sûrement marre, et je vous comprendrais, de me voir pondre des reports de fan. Si c’est le cas, je vous invite à quitter la page parce que j’aime à peu près Caligula’s Horse autant que j’aime Leprous donc…pardon d’avance.

C’était il y a trois ans environ, je tombe par hasard il me semble sur le clip de Vanishing Rites, cette voix si chaleureuse de Jim Grey (méconnaissable quand on le compare à son look actuel), tantôt tellement délicate et aérienne, et se voulant plus fougueuse par moments, ce délicieux son de basse et surtout le jeu de Sam Vallen, absolument incroyable, prog avec des passages plus jazzy comme peut le faire un groupe comme Opeth. Là je me dis que les mecs ont tout compris et assurément il faudra compter sur eux dans les années à venir, pour peu qu’ils soient servis par un label qui les porte comme il se doit (désormais sur InsideOut, tant qu’à faire ndlr).  Et histoire d’enfoncer le clou un peu plus, je tombe sur « Dark Hair Down », pour m’empresser d’aller écouter leur album The Tide, the Thief & River’s End puis sur « Moments from Ephemeral City » alors que le groupe n’était qu’un duo … A partir de là, je fais mon modeste « travail de fan », propageant la bonne parole à qui veut l’entendre, fier de cette « découverte », espérant les voir un jour sur scène, même si les groupes australiens se font relativement rares dans nos lointaines contrées. Et en attendant de les voir peut-être un jour chez nous, on pouvait se consoler avec le sublime album d’Arcane « Known/Learned » autre projet prog auquel Jim Grey prête sa voix reconnaissable entre mille.

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La sortie de leur nouvel album « Bloom » et la signature chez InsideOut présageait de bonnes choses, une venue potentielle en Europe. Des espoirs récompensés avec l’annonce d’une tournée, et en compagnie de Shining, désormais groupe de tête d’affiche, donc double enthousiasme, après une série de dates sublimes proposées par Garmonbozia & Base Prod, pour ne citer qu’eux, et le Divan du Monde promettait d’être le théâtre idéal pour leur faire honneur au mieux.  Une grande hâte donc, mais aucune crainte quant à la qualité du son de la soirée. Qualité sonore qui se confirme lors des premières notes de « Dark Hair Down » qui prend une toute autre dimension en live. Tout sonne formidablement juste, on distingue parfaitement chaque instrument sans qu’aucun ne prenne le dessus sur les autres, et on se trouve émerveillés lorsque Sam Vallen fait exprimer sa guitare en solo. Après un kickstart des plus efficaces, les moments de grâce vont s’enchaîner, et la puissance émotionnelle du groupe va pleinement se déployer par le combo Bloom/Marygold, histoire de  prouver une nouvelle fois, pour ceux qui en auraient douté, que le sieur Jim Grey est un putain de chanteur, touchant au possible, mais sans jamais en faire des tonnes. Avec certes moins d’exubérance que leurs collègues qui ont joué avant eux, le groupe, pour sa première venue en France, aura certainement marqué des points et conquis du monde, distillant des titres de toute son œuvre (All in Quiet by The Wall/Firelight/Daughter of The Mountain), les ponctuant de quelques messages sincères au public parisien. Et au presque terme de ce set un poil frustrant rétrospectivement (un « A Gift To Afterthought » par exemple ou « Atlas » auraient été très appréciés par votre serviteur), on reste sans voix, dans la contemplation totale, avant qu’ils ne concluent ce malheureusement trop court set avec le premier titre que le duo Sam/Jim avaient enregistré « The City Has No Empathy (Your Sentimental Lie) » dont tant le son était un peu faiblard en album (normal pour un 1e enregistrement), tant il faut admettre qu’en live il prend une toute autre dimension…Verdict donc, pour un groupe qui a à peine 5 ans d’existence, la maturité du groupe est incroyable (au cas où on en doutait encore),  techniquement j’en parle pas, et en plus les mecs sont hyper sympas, que demander de plus. Au final, le constat est pour le moins clair, entre les nouveaux albums de Leprous, Between The Buried & Me, Port Noir, Agent Fresco et j’en passe,  2015 aura été l’année de la New Wave of Progressive Metal, indéniablement…

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Alors je ne saurais que trop vous conseiller de tendre une oreille sur tous les projets auxquels participent les différents membres de Caligula’s Horse, et surtout Arcane, comme j’ai pu le citer plus haut.  Je vous conseillerais bien d’écouter également Shining (les deux tant qu’à faire, mais c’est la « version » norvégienne qui nous intéresse ce soir), mais je suppose que vous l’avez fait.

 

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En mars dernier, le groupe originaire d’Oslo ouvrait pour The Devin Townsend Project. En Juin, au Hellfest, ils étaient tête d’affiche du vendredi où une bonne partie du public les a réellement découverts, moi y compris, lors d’une époustouflante leçon de leur désormais célèbre « blackjazz », pour un des souvenirs les plus marquants de cette 10e édition.  L’annonce d’une tournée en tête d’affiche a fait grand bruit, et la perspective de se rendre un peu me compte de leur talent dans une configuration plus intimiste était réjouissante.  Pour patienter, on a eu la chance de pouvoir assister à la soirée de présentation de leur nouvel album « International Blackjazz Society », une promotion  (distribution de goodies à l’effigie du groupe, présentation vidéo, invits à gagner etc…) savamment orchestrée par Gaëlle, fourmillant d’idées, qui a accompli un travail assez colossal, avec énergie et bonne humeur (en fait, là ma phrase veut dire que je la remercie pour tout ce qu’elle a fait pour le groupe et les fans).  Mais revenons à notre soirée.  Après une nouvelle distribution de goodies aux couleurs du combo norvégiens, histoire de fédérer encore un peu plus le public autour de la « cause », c’est par une touchante et plus qu’inattendue Marseillaise au saxophone que le sieur Munkeby décide de rendre, à sa façon, hommage à Paris. De quelle autre manière aurait-il pu le faire d’ailleurs, absolument unique. Et même si, et ce n’est que mon point de vue, j’aurais sans doute préféré un moment plus solennel et moins « façon stade de foot » dans le public, force est d’admettre que ça fait son petit effet…

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S’ajoute à l’arrivée d’un groupe un constat : où est Håkon Sagen (guitare) ? Si quelqu’un a des infos concernant sa non présence ce soir, ça m’intéresse.

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Place ensuite à une setlist plus « shiningest ». On avait pu constater qu’en un an le groupe avait pris petit à petit une nouvelle dimension, rassemblant de plus en plus de fans et concluant la plupart de ses sets par un titre désormais devenu presque un hymne, à savoir « I won’t forget ». Hasard ou volonté délibérée de marquer un changement d’époque, c’est désormais en ouverture que le groupe nous le balancera et permettra de chauffer (si besoin) tout de suite.  Et dire que le public était chaud ce soir est un sacré euphémisme. C’est dans un joyeux bordel, parfois plus proche d’un concert de punk ou de pagan/folk qu’on aura l’impression de se trouver, entre fans peinturlurés aux couleurs du groupe et la multitude de pogos comme de slams. Raté pour celles et ceux qui pensaient trouver un public de fans de progs, en général bien plus statique et dans la contemplation. Les albums Blackjazz comme One One One possédaient déjà un paquet de titres complexes, parfois indigestes mais qui deviennent de véritables hymnes  en puissance (« The One Inside » ou « Fisheye » par exemple) une fois joués en live. International Blackjazz Society va encore plus loin avec des refrains irrésistibles, « House of Control » en tête, peut-être mon titre préféré de l’album. Bon, le sieur Munkeby est pour beaucoup dans tout ça tant il est l’incarnation du groupe, avec un mélange de classe et un charisme auquel peu de leaders peuvent prétendre. Et même si le saxophone, particularisme du groupe, se fait un peu moins systématique qu’avant, les instants freejazz ne sont pas oubliés,  et mine de rien, le délire presque « zornien » d’ « Helder Skelter » envoie sacrément du pâté. Sans temps mort, le combo norvégien en profite pour exprimer à plusieurs reprises son soutien pour Paris et ses habitants avec une mémorable séquence de doigts d’honneur collective en direction des terroristes. La réponse à une agression par la puissance de la musique, c’est sans doute le message à retenir ce soir, et les morceaux aux relans électro-indus à la Nine Inch Nails (« Burn It All » par exemple) en sont les parfaits vecteurs.  On pourrait croire qu’après presque trois heures de show, le public manquerait d’énergie. Erreur, le crowdsurfing continue, et le sieur Munkeby comme les fans s’en donnent à cœur joie, avant un classique rappel (dans la forme, pas dans son intensité),  et surtout avec une saveur un peu plus particulière que d’habitude, celle d’avoir manifesté quelque chose d’important, parce que c’est là qu’il fallait, c’est là qu’on VOULAIT,  être ce 18 novembre, et nulle part ailleurs…

 

Comment conclure cette soirée ? On nous avait dit que plus rien ne serait comme avant après les attentats de janvier. C’est faux, on a continué à vivre comme on l’a toujours fait. On nous a dit la même chose après le 13 novembre, et je n’ai pas l’impression que, même si les gens sont encore marqués par ce qui s’est passé, ils ne feront de concessions quant à leur façon de vivre, malgré les mesures de sécurité qu’on leur imposera logiquement désormais.  Il parait donc important, et encore plus que d’habitude, de remercier chaleureusement les orgas (Garmonbozia en tête), et les groupes qui ont eu le courage de venir jouer en ces temps sombres, alors que les salles parisiennes peinent à se remplir apparemment. On ne peut que constater, une fois de plus, et admirer l’indéfectible fidélité des fans de metal, bravo à eux.

 

Texte et photos : Mats L.

 

 

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