
Denis Villeneuve est un réalisateur que je suis de prés et qui ne cesse de m’étonner film après film. Prisoners avec Hugh Jackman et Jake Gyllenhaal m’avait embarqué dans un polar comme je les aime et comme il n’y en a que trop rarement au cinÈma. Durant la séance, j’avais immédiatement pensé aux films de David Fincher, Seven et Zodiac. Alors qu’en est il de Sicario?
L’attente a été longue depuis la première projection du film à Cannes en sélection officielle le 19 mai 2015. Tout le bien qu’il en a été dis n’a fait que renforcer mon excitation. Ce n’est pas le meilleur film du réalisateur québécois, mais probablement le plus viscéral et celui qui possède la plus forte concentration en testostérone. Le spectateur est plongé dans un film qui sent la poussiére, qui transpire, qui saigne, suffocant et terrifiant. Pour cela, avant même les premières images du film, dès que le logo de la compagnie de production Lionsgate apparait, nous entendons une musique lointaine, un rythme, quelque chose de presque tribal, des percussions qui nous amène lentement vers cet univers ultra violent. Celui de la lutte anti drogue. Nous apprenons alors la définition du sicaire et sa signification au sein des cartels mexicains. Le Sicario est un tueur à gages. Le ton est donné. Le prologue plonge le spectateur au coeur de l’action, une descente du FBI dans une maison d’un patelin de l’Arizona dans laquelle se trouve des otages. A la tête de cette escouade, une femme, Kate Macer, une jeune agent qui parait aussi fragile que téméraire. L’interprétation d’Emily Blunt (Edge of Tomorrow) nous rappelle par bien des égards le mélange rÈussi d’une Clarice Starling et d’une Sarah Connor. Suite à cette mission, Kate sera confrontée aux terrains les plus hostiles, accompagnÈe d’un conseiller du département de la Défense, Matt Graver (Josh Brolin) et de son partenaire Alejandro (Benicio Del Toro) aussi déterminé qu’énigmatique.
De cette puissante séquence d’introduction au dénouement final, Sicario est un film qui cache son jeu en gardant les meilleures cartes de côté. Denis Villeneuve est un auteur qui aime triturer son public et le pousse sans cesse à se questionner, relevant par ci par là de nouvelles indications. Pour qui travaille ces personnes? Qui est vraiment Alejandro? Oû allons nous? Pour quoi faire? Quelles sont leurs véritables motivations? Le spectateur est perdu dans un cauchemar éveillé. Kate possède autant de renseignements sur ses partenaires que le réalisateur souhaite en donner aux spectateurs. Ces parts de mystère amplifient le suspens et ceci prouve que Denis Villeneuve sait exactement ce qu’il fait.
Mieux, il prend son public pour des personnes capables d’analyser par elles mêmes des situations. Sicario continue lentement sa montée en puissance. Certaines séquences resteront gravées dans les mémoires pour longtemps. Le périple du convoi policier au coeur des rues de Juarez, véritable no man’s land, est l’un des meilleurs exemples. La tension grimpe clairement d’un niveau. Ceci est assez surprenant, puisque habituellement ce sont les courses poursuites qui nous scotchent au fauteuil, ici, c’est un embouteillage. Toute la maîtrise de Denis Villeneuve est la, il est capable de retenir notre attention avec le moins d’effets spectaculaires possibles. Le scénario suit aussi cette logique. Signée par l’acteur Taylor Sheridan (Sons of Anarchy), l’histoire est simple, compréhensible et efficace.
Les choix de casting et la direction d’acteurs sont réussis et le découpage du film frôle l’insolence tant il est précis. Si l’on suit l’histoire de Kate Macer, dont l’interprétation d’Emily Blunt est excellente, c’est surtout Benicio Del Toro qui porte le film. Son rôle torturé et mystérieux lui colle à la peau et livre ici, l’une de ses meilleures performances. Un autre fait intÈressant, est la dimension chorale apportÈe par la narration en parallèle de la vie d’un policier mexicain. En cela, Sicario ressemble beaucoup à l’excellent Traffic de Steven Soderbergh qui traitait de différents points de vue la lutte anti-drogue. Sicario marque une nouvelle collaboration entre Villeneuve et le directeur de la photographie des frères Coen, Roger Deakins. Les images sont belles et épurées, on reconnait assez bien le style visuel, semblable à No Country For Old Men. La confrontation des prises de vues aériennes trés lumineuses durant les trajets entre les frontières et les séquences plus intimistes, aux couleurs ternes et plans serrés, de la vie de l’agent Macer permettent également d’accentuer la noirceur ambiante. La réalisation ne faiblit jamais et le suspens est permanent. La bande originale du compositeur islandais, Jóhann Jóhannsson, tribale et viscérale ne relâche jamais, se fondant presque aux pulsations cardiaques du spectateur.
Pour cette conjugaison habile et bien dosée de différents talents, Sicario de Denis Villeneuve est un film à voir absolument et un prétendant aux oscars bien solide. Une claque cinématographique, dont le twist final à défaut d’être surprenant, est vraiment poignant.
SICARIO, Denis Villeneuve, 2015, production américaine, sortie le 7 octobre 2015
Acteurs principaux: Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin…
Texte: Arnaud
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